Northfork
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Northfork

Film de Michael Polish (2003)

On est d'abord happé par la beauté des images. Du plus serré au plus large, chaque plan est minutieusement cadré, minutieusement composé, minutieusement étalonné...
Parlons d'étalonnage justement. Un outil magique qui permet de retravailler la colorimétrie en post-production, et dont beaucoup de mauvais réalisateurs abusent pour donner intérêt et consistance à des images qui n'en ont pas. Le travail de l'étalonneur se résume dans ces films à booster mécaniquement les contrastes, saturer les couleurs et surdoser la tonalité que l'on veut faire ressortir (le vert étant fort en vogue depuis le succès de la trilogie Matrix).

Dans Northfork, les frères Polish, en bons faiseurs d'images, font un travail beaucoup plus subtil.
Ils désaturent tout d'abord les couleurs pour donner à l'image un aspect sépia (renforcé par la teinte beige du désert, la teinte marron des maisons de bois...). Ils poussent même parfois cette désaturation jusqu'aux limites d'un noir et blanc renforcé par la teinte grise du béton, le costume des hommes en noir et les nuages, noirs eux aussi, se détachant de ciels laiteux. Ce traitement donne au film un aspect vieilli, délavé, rendant ainsi l'univers moins réaliste, plus imagé... Ce rendu pictural étant propice aux apartés oniriques qui parsèment le film.
Les frères Polish jouent aussi énormément sur les contrastes visuels. Ainsi, la silhouette des hommes en noir se détache véritablement des décors et paysages. Ils sont comme des ombres menaçantes...
Au contraire, les derniers habitants de Northfork semblent se fondre avec leur terre. Ils sont comme des spectres qui hantent les lieux...

Sans entrer plus loin dans les interprétations symboliques, on constate que les frères Polish ont effectué un travail poussé et intelligent sur leurs images. Un travail proche de celui du peintre.
Il n'est d'ailleurs pas étonnant de trouver des références à Dali (notamment avec cette étrange créature sur échasse qui arpente le désert), ou encore à Magritte (avec la silhouette des hommes en noir se détachant sur de vastes horizons).

N'ayant bénéficié que d'un budget de 1,5 millions d'euros (une broutilles pour un film américain ou même français, de cet ampleur. Si on le compare gratuitement à « Le code à changé », un film qui se résume à un mièvre huis-clos dans un appartement parisien, et qui a coûté 20 millions d'euros, on peut affirmer que, oui, il existe bien une exception culturelle française et qu'elle sent l'arnaque à plein nez. Mais je m'égare... Je m'égare... Et lorsque je vais fermer ma parenthèse, vous risquez d'avoir oublié le début de la phrase, d'où un rappel obligé), avec leur budget de queues de cerises, donc, les frères Polish ont judicieusement opté pour le dépouillement.

Les décors sont peu nombreux et sont blottis au creux de vastes horizons désertiques. Pourtant, chacun d'eux est travaillé en profondeur, aussi bien par l'esthétique que par la narration, afin d'être sublimé.
De la chapelle dont le chœur n'a pas de mur et s'ouvre sur l'extérieur, au cimetière dont tous les corps ont été déterré et qui n'est plus qu'un alignement de trous; du barrage de béton qui sert de sépulture à un ouvrier enseveli par accident, à l'arche de Noé moderne remplie d'animaux empaillés... chaque décor est mémorable et porte en lui tout un monde.
Certainement pour des questions budgétaires, la petite ville de Northfork ne nous est jamais présentée dans sa globalité, mais par de multiples fragments. C'est au spectateur de rassembler ces fragments et de s'imaginer à quoi peut bien ressembler cette ville qui n'en n'est pas une en apparence.

Là où le bât blesse, c'est que la narration est elle aussi développée dans cette optique de dépouillement et de fragmentation.
Le récit n'est qu'une succession de micro histoires mettant en scène des personnages tout juste esquissés. Le tout baignant dans un ramassis de symboles mystiques. Les frères Polish ne nous donnent jamais de clés pour les décrypter, et on finit par les prendre pour des imposteurs: de grands esthètes, incapables de raconter une histoire, et cachant leur incapacité derrière un flot de symboles vaseux.

Soyez donc prévenu... Northfork est le genre de film qui vous procure une profonde frustration cinéphilique.
Un film d'une rare beauté plastique, au synopsis plus qu'alléchant, mais qui n'a finalement rien à dire, ou du moins rien d'intelligible...
LikeTheMoon
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le 22 mai 2012

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