Depuis quelques temps, j’ai une considération ambiguë, si ce n’est bipolaire au sujet du cinéma de genre français. Un raccourci qui englobe les films fantastiques, d’horreurs, étranges, nouveaux, brefs, ce qui sort des carcans autour des films produits par notre beau pays. Si mes considérations n’ont fait qu’évoluer c’est pour les meilleures et les pires raisons. A la fois, car on produit de plus en plus de films dits de genre, et qu’il y a des auteurs, nouveaux ou non, qui ont des choses à dire et faire voir autour de ces genres. En même temps, de plus en plus de réalisateurs se limitent à leur idée, n’osent pas assumer la folie de leur concept, restent à une échelle décevante, ou tout simplement, font de la merde. Voir un film de genre arriver dans nos salles, c’est à la fois une joie immense, une fierté nationale, et la crainte de voir mes espoirs (encore) s’effondrer. Techniquement, le film du jour à tout pour plaire, tel Grave, il est passé à Cannes, en semaine de la critique, a reçu un petit buzz à travers différents festoches, offre la vision d’un nouveau réalisateur et dispose d’un point de départ accrocheur bien qu’assez nébuleux (mais ne vous inquiétez pas, on ne vous en dira pas plus). Quoique, devant l’attente, l’ombre de la déception du film arty ou d’art et essai trop posé, au concept sous-exploité et à l’amateurisme lancinant guette (coucou Mastemah). S’il ne se place pas concrètement du côté de la série B mais du film d’auteur, le jeune Simon Rieth prouve allègrement que les stéréotypes c’est de la merde, avec ce premier essai pas sans défauts, mais vigoureux, passionné, intelligent, sensible et esthétiquement flamboyant.
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Découvert en octobre dernier, au fifib, Nos Cérémonies raconte l’histoire de deux frères, Noé et Tony, dont la trajectoire va basculer après un accident pas loin du traumatique. 10 ans après les faits, toujours unis (malgré tout), les voilà de retour dans leur Nouvelle-Aquitaine natale, à l’enterrement de leur mère, les ayant précédemment séparés de leur figure paternelle. Là-bas, ils vont revoir leur amour d’enfance, Cassandre qui va peu à peu, faire ressurgir les démons du passé et dévoiler leur secret le mieux gardé. Les plus pessimistes d’entre vous se demanderont le lien avec le cinéma de genre, et je leur répondrai, que Nos Cérémonies est un récit à tiroir qui aime jouer sur la surprise. Ce titre, ô combien évocateur à l’issu du générique, caractérise la relation tumultueuse entre ces deux frères et leur rapport à l’accident précédemment cité. Si la dose de fantastique reste à une échelle humaine, le film exploite tout de même son idée sous différentes coutures, souvent sous l’égide du tragique. On peut cependant trouver sur certains aspects une narration un poil hétérogène entre les différents protagonistes et intrigues, dont celle entourant cet amour de jeunesse. Ni amourette mignonne ou obstacle à ce sombre secret, elle prendra plus d’importance dans la seconde moitié du métrage, mais perdra ceci-dit en intensité. Or, cette écriture quelque peu opaque et en même temps mal dosée n’est malheureusement pas une exception liant ce simple personnage. D’un film durant à la base 2h50 (oui oui), on sent qu’il y a des trous, qui ne sont pas gênant outre mesure, mais qui empêchent de totalement prendre à bras le corps cette intrigue et son développement. Le rythme y joue aussi beaucoup, le film créant encore une fois une distance entre une première moitié dense en informations et une seconde qui va chercher à développer ces informations sans pour autant redynamiser le récit. Beaucoup pourront voir en Nos Cérémonies un film hermétique, qui développe beaucoup d’idées esthétiques parfois au détriment de l’émotion. Dans une certaine mesure, on peut même dire que le film dévoile ses cartes trop rapidement et qu’il semble sujet à un entre-deux scénaristique et émotionnel. Entre l’effroi que provoque Nos Cérémonies et le tragique qu’il convoque entre ces deux frères, le film semble constamment changer de directive. Si ce ton bipolaire est au début passionnant et intrigant, il devient à moitié frustrant en plus de témoigner de quelques carences narratives, qui n’amenuisent cependant pas la passion entourant ce récit singulier aux ambitions limpides et passionnantes malgré ses défauts.
Assez parlé de ce qui fâche, il est temps de faire l’exégèse de Nos Cérémonies, un film que j’attendais sans attendre et qui m’a mis une petite claque. La principale raison à cet avis, c’est que si Simon Rieth présentait des lacunes dans l’écriture, il en est une tout autre affaire en termes de mise en scène. Nos Cérémonies possède, tout d’abord, une esthétique très voyante, que certains diraient par moment criarde, qui laisse s’échapper la chaleur de cet été charnel faisant logiquement ressortir les corps de ses protagonistes. C’est aussi une bien belle manière de filmer les décors, autant naturels qu’artificiels, il y a toujours un soin apporté à la lumière, à la photographie et simplement, au cadre pour offrir un spectacle visuel et en même temps, accentuer certaines scènes clés du métrage. Puis, pour revenir à l’aspect « genre », ça donne une atmosphère onirique plus que singulière qui permet au film de ne jamais tomber dans la surexposition de son approche fantastique tout en donnant des images poétiques et minutieusement choisies qui transforment cet simple tragédie familiale en conte macabre. Macabre qui se marie parfaitement à cet aspect un peu plus solaire qui offre ainsi un contraste hautement appréciable. Toujours dans ce sens, il y a même des prises de risque prenant haut la main par surprise, comme un plan séquence entrant et sortant deux fois d’une fenêtre, apportant une dose de froideur et d’horreur à une des scènes choc du film. On peut même parler de récit mythologique, les noms, le développement de la narration et le cadre s’y prêtant tout particulièrement, donnant une nouvelle densité au film de Simon Rieth. Aussi, cette esthétique très travaillée reste toujours à hauteur des deux frères, et reste en particulier au service de l’accroche fantastique (dont je ne dirai toujours rien) ou tout simplement l’atmosphère onirique du film. Simon Rieth ne craint pas de filmer des scènes à but purement sensitives, où la narration en plus de passer par l’image, fait en particulier évoluer cette relation. Que ce soit le « retour des héros » en début de métrage, un travelling où les deux frères expriment leurs compétences sportives ou tout simplement la conséquence du dilemme final, toujours, Nos Cérémonies touche juste, droit dans le cœur, et créé des images qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire. Je parlais donc d’approche sensitive de l’image, mais cette dernière devient même presque sensorielle, toujours grâce à cette photographie charnelle que la bande son du film, par moments sombre, d’autres pas loin du merveilleux, qui accentue nombre des qualités du métrage. Dans tous les cas, ces aspects du film plus que d’être soignés et jamais négligés, donnent une patte presque jamais vue en France et renforce les émotions ou la simple admiration devant un spectacle d’une grâce indéniable.
Voir filmé les plus beaux territoires de la Nouvelle-Aquitaine (jamais Royan n’a été si bien filmé), s’offrir un spectacle visuel sans précédent, vivre une tragédie entre frères, ce n’est pas ce qui a le plus résonné en moi dans Nos Cérémonies. En effet, on peut dire qu’avec son casting sauvage (étalé sur plus d’un an de souvenir) Simon Rieth a trouvé la, ou plutôt les perles rares. Les frères Baur sont ce qui donne le plus de charme et de vivacité au premier film de ce réalisateur, à la fois car ils apportent encore plus de singularité au métrage, mais aussi car ils ont une présence et une force de jeu presque impassible. Le réalisateur voulait des personnalités sportives, toujours dans cette aspect charnel, et il a eu le plaisir de rencontrer deux figures emblématiques du Wushu, une pratique sportive qui mêle art martial et narration presque théâtrale. Une identité que le réalisateur embrasse dans Nos Cérémonies et qui donne encore plus de densité au métrage. Puis, même si comme dit plus haut, ce n’est pas la partie la plus passionnante de Nos Cérémonies, ces corps athlétiques donnent une ardeur aux passions auxquelles s’adonnent les deux frangins, apportant en plus un rouage supplémentaire dans l’ambiguïté que le film dresse avec les « cérémonies ». Le rapport de supériorité, bien que parfois un poil trop écrit donne aussi de la chaire entre les deux frères qui se complètent plus qu’ils ne s’aiment. Finalement, si le scénario et le dosage fait toujours défaut au film, ce duo d’acteur (comme les autres, plus secondaires) balayent tout sur leur passage en donnant du corps aux ambitions de Simon Rieth, autant sur le plan esthétique qu’émotionnel. Ils offrent aussi, par petites touches, une vigueur au propos dressé sur la fraternité, qui ne se résumera jamais à quelques lignes ou un plan métaphorique, mais qui sera toujours mené par les deux interprètes. Ces derniers n’en démordent pas quelque soit le ton à employer, et leurs ruptures lors de scènes plus macabres. Ils se servent de leur cohésion de sang pour donner une intensité réjouissante à leurs personnages. Ils incarnent aussi une part non négligeable de mystères, de non-dits, mais que Simon et Raymond Baur arrivent toujours à présenter comme une évidence et rendre crédible un univers proche du réel bien que régie par un mélange de tragique et métaphysique. Alors que ce soit pour rester le centre d’une fête grouillant de populace, intensifier des confrontations autour de la fraternité, enrichir le sentiment de macabre ou appeler aux larmes lors des dernières séquences, le visionnage de ce film de genre ne prime rien que pour cette découverte.
Nos Cérémonies revitalise le cinéma fantastique, pas seulement français en restant constamment conscient des limites de son concept pour offrir une confrontation fraternelle habitée et esthétiquement grandiose. Si quelques sous-intrigues, un rythme qui ne prend pas par la main et autres coquilles pourraient obstruer le visionnage de certains, je garderai un amour pour ce film aussi tendre que violent qui promet une future très belle carrière à son réalisateur et acteur, et une alternative plus humaine et émouvante du cinéma de genre traditionnel. Puis citez-moi franchement un film qui a mieux enregistré la beauté du Sud (le premier qui me parle des Petits mouchoirs est mort demain à l'aube).
Ps: si vous voulez en savoir plus, j'ai eu l'honneur d'interviewer le réalisateur Simon Rieth à l'époque du fifib sur le lien apposé à cette phrase.