Au soleil levant, La poésie brille fort, Puis s'éteint

Yui est un jeune homme introverti qui s’isole du monde grâce à un casque audio. Il se passionne pour les haïkus qu’il crée à profusion. Yuki est une jeune blogueuse tellement complexée par ses dents de lapin qu’elle n’ose plus sortir sans son masque sanitaire. Tous deux vont se rencontrer au centre commercial et, dès lors, leurs existences vont s’emmêler. Yui apprécie la compagnie de Yuki et Yuki se sent en confiance avec Yui. Mais la vie se poursuit et le déménagement de Yui approche…

Premier film de Kyohei Ishiguro, Words Bubble Up Like Soda Pop est… surprenant. Le trait, tout d’abord, est simple et parfois brouillon (les lignes tremblent voire disparaissent) sur des aplats de couleur flashy sortant tout droit d’un clip de techno. Ensuite, la musique est une pop psychédélique minimaliste à mi-chemin entre le jeu vidéo MIDI et la synthwave expérimentale. Le cadrage, également, est atypique. Plans fixes sur des paysages urbains (terrains vagues et immeubles), vue depuis le distributeur de jouet ou sur le tourne-disque, la réalisation recherche délibérément l’originalité.

Les personnages, enfin, sont également excentriques. Yui possède les caractéristiques d’un comportement autistique (renfermement, difficulté de communications, attention exacerbée aux détails et obsession pour les haïkus). Le complexe de Yuki s’est transformé en phobie au point que son masque devient pour elle un talisman qu’il ne faut enlever sous aucun prétexte (elle refuse même de manger si elle est en publique). Les personnages secondaires sont eux aussi étranges. En vrac, on a un otaku, un métis racaille et une geekette magicienne de l’informatique.

Les 20 premières minutes sont difficiles à passer. On a droit à une tranche de vie de jeun’s accrochés à leur portable dans un supermarché qui fait mal aux yeux tellement il est fluo. Mais cette insistance sur les haïkus intrigue le spectateur qui, s’il a chaussé ses lunettes de soleil pour supporter l’image, veut comprendre où cela mène.

Et c’est là tout l’intérêt du film. Words Bubble (le titre est trop long même s’il a du sens) traite essentiellement de l’art des haïkus. Le film enseigne cette poésie à la manière japonaise, sans rien expliquer, et ne fait que montrer leur composition. Dès lors, le spectateur peut partager la passion de Yui et découvre petit à petit tout le sens de cet art. Le but ultime de cette poésie est dévoilé par monsieur Fujiyama. Ce personnage, le mentor informel de Yui, s’efforce de décrire l’instant présent si fragile qu’on l’oublie trop rapidement comme le montre la recherche de son disque. En effet, il convient d’extraire de chaque instant sa quintessence pour en savourer toute la magie avant qu’elle ne disparaisse. Du coup, la romance devient secondaire devant cette quête du moment présent. La chute expose d’ailleurs ce feu d’artifice de lucidité lorsque Yui, dans une représentation qui ressemble à du slam, explore ce qu’il ressent à chaque instant et parvient enfin à l’exprimer.

Words Bubble Up Like Soda Pop est un film philosophique qui glisse du côté de la spiritualité (mais involontairement, à mon sens). La romance ne sert qu’à valoriser cette tranche de vie (il n’y a pas vraiment de scénario) et à mettre en pratique cet art sublime de l’observation qu’est le haïku. On peut grandement apprécier sans être littéraire (c’est mon cas) malgré l’étrangeté de ce film.