Une voiture qui sillonne des routes isolées, un portail haut qui donne sur une bâtisse imposante, bourgeoise, et un passager taciturne avec un sac pour tout bagage : telle était l’ouverture du film la Prière de Cédric Kahn, et telle est l’ouverture de Nos Vies formidables, le nouveau film de Fabienne Godet. La ressemblance est troublante, et édifiante. Quand il s’agit de parler de la réhabilitation des toxicomanes, les choix ne sont donc pas nombreux. Le chemin est tout tracé, toujours le même.


Sauf que ce n’est pas tout à fait exact. La Prière était focalisé sur ce milieu spécifique d’un centre religieux quasi-militaire qui recueillait de jeunes toxicomanes et essayait de les guérir grâce à la prière et l’effort physique. Le film de Kahn interrogeait aussi le cheminement de Thomas, le protagoniste, par rapport à ces prières qui lui tombaient dessus. Nos Vies formidables met plutôt l’accent sur la vie en communauté de personnes de tous genres, de tous âges, de tous sexes et de toutes sexualités. Margot (épatante Julie Moulier) en est certes la protagoniste, mais on ne peut pas véritablement parler d’un premier rôle, tant tous les personnages ont une importance égale, comme dans un film choral, tout en étant un élément indispensable d’un édifice humain indissociable où chacun a besoin de l’autre pour avancer, mais où chacun puise également sa motivation dans le bien qu’il apporte à un troisième.


Margot arrive donc dans un centre très hétéroclite, au centre duquel officie Antoine, le thérapeute (incarné par un professionnel, Régis Ribes). La force du film est d’être à un bon point d’équilibre entre une vision documentaire et un récit de fiction, et avec l’histoire et le personnage de Margot en fil conducteur, Nos Vies formidables va garder la même trajectoire du début jusqu’à la fin, celle de raconter la vie de cette communauté singulière qui rassemble des hommes et des femmes qu’il s’agit de soigner dans toutes leurs dimensions, aussi bien physiquement que psychiquement. Malgré quelques images qu’il faut bien traiter d’Epinal (les scènes de manque en début de séjour, notamment), Fabienne Godet a choisi une manière très particulière de montrer le monde de l’addiction , qu’on a tout récemment vu dans ses versants destructeurs avec successivement Ben is Back de Peter Hedges, et My beautiful Boy de Felix Van Groeningen. Ici, c’est la reconstruction qui est montrée, avec l’absence totale de béquille chimique, mais au contraire le recours à la parole et à la bienveillance solidaire. Pouvant paraître rébarbatives au départ, les réunions de groupe (très impressionnantes) deviennent progressivement supportables, puis nécessaires à chacun dans leur guérison qui passe par de violents moments de prise de conscience. Le personnage de Margot , interprétée par une Julie Moulier très convaincante, synthétise parfaitement ces états d’âme successifs de dégoût, de découragement et d’espoir.


Le film est lumineux, éclairé par la solidarité et l’entraide entre les membres du groupe que la réalisatrice précise avoir constitué après moult castings, membres manifestement en grande alchimie, tant l’émotion est réelle et palpable. La cinéaste réussit à faire vivre le groupe comme une vraie entité ; à la différence du film choral auquel on peut l’assimiler, les personnages existent tous simultanément sous les yeux du spectateur, dans une sorte de ballet parfois tragique, souvent drôle, et toujours poignant. Au-delà de la reconstruction par les séances formelles de thérapie, l’amitié et les affinités qui naissent entre les personnages font plaisir à voir et font d’une séance de ménage, de vaisselle, de scrabble ou de volley-ball bien plus qu’une anecdote dans le film.


Alors, si le film manque un peu du mystique qu’on a vu dans la Prière de Cédric Kahn, et qui contribue (ou pas) à la réhabilitation des pensionnaires, s’il manque par endroits d’une certaine distanciation par rapport au sujet, il regorge au contraire de l’incroyable vitalité générée par la dynamique du groupe, par la solidarité, et surtout par la foi des protagonistes dans leur prochain, et la croyance que ce dernier peut réellement être la source de leur salut.


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Bea_Dls
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le 24 avr. 2019

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Bea Dls

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