tout juste deux ans après l’apparition du terme “culture du viol” dans la littérature de la seconde vague du féminisme aux USA, Martha Coolidge explore un pan de cette culture dans un documentaire expérimental d’une force et d'une sincérité remarquable!


je pense que Not a Pretty Picture est un film important. Important parce qu’il est réalisé à partir du point de vue de Martha Coolidge, une réalisatrice qui a survécu à un viol commit durant son adolescence. Important parce qu’il n’a pas peur d’être honnête. Parce qu’il accepte de ne pas avoir de solutions. Parce qu’il transforme l’intime en politique et qu’il donne la part belle à l’échange. Aussi parce qu’il inclut les hommes dans cet échange. Martha Coolidge ne nous montre pas une vision explicitement morale de son sujet - la réalité d’un viol adolescent - mais cherche plutôt à écouter, à regarder pour comprendre, à prendre de la distance lorsque c’est possible.


dès le début du film, un intertitre nous dit : "Ce film est basé sur des incidents de la vie de la réalisatrice. L'actrice qui joue Martha a également été violée lorsqu'elle était au lycée." Et aussitôt, l’actrice principale (Michelle Manenti) partage ses doutes avec Martha à propos de sa participation au film. Rejouer volontairement une scène de viol lorsqu’on en a subi un, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire? Va-t-on se servir de ça contre elle? Dire qu’en fait, elle voulait être abusée sexuellement? Et tout est déjà là, dans cet échange. Deux survivantes, conscientes de la réalité du patriarcat et des risques qu’elles prennent en faisant ce film, qui choisissent de la faire quand même, ensemble.


on pourrait dire que Martha Coolidge se sert du cinéma comme d’un outil thérapeutique, et c'est probablement vrai. Près de 10 ans après les faits, la réalisatrice digère encore ce qu’elle a vécu. Mais elle s’en sert aussi comme un outil de résistance face aux injonctions patriarcales que font porter la responsabilité aux victimes, qui les pousse au silence et à la honte. À ces injonctions elle répond par une expression artistique et politique. Elle ne donne pas de réponses toutes faites mais elle nous indique un chemin, celui de la solidarité et du partage. C’est un film grave, oui, violent, difficile à regarder, mais réalisé avec soin et qui garde les pieds sur terre face au sujet qu’il aborde. À ce titre, la bienveillance avec laquelle Martha dirige ses acteur·rices est exemplaire. La capacité des 3 personnages principaux du film à être honnêtes et vulnérable à l’écran est incroyable. Leurs ressentis, leurs tentatives d’explications, leurs peurs, ce sont les nôtres. Ce film, qui aurait pu être confus voir aliénant de par sa forme experimental mélangeant répétitions, reconstitution et interviews, nous prend par la main sans pour autant nous dire quoi penser. C'est inconfortable, c'est touchant, c'est beau aussi.


Not a Pretty Picture m’a marqué. Il m’a fait réfléchir sur ma propre adolescence, sur mon rapport à la sexualité à cette époque, sur ce qu’il en reste aujourd’hui. La démarche de Martha Coolidge est impressionnante. Son oeuvre est un acte courageux à mi-chemin entre choc esthétique et thérapie collective, qui résonne encore avec force en 2023. Si tu lis cette critique je te le recommande. Si tu n’arrives pas à le trouver envoie moi un message privé.


-

de nos jours, après les Slut Walks, Metoo, la popularisation d’un discours critique sur le regard masculin (male gaze), Not a Pretty Picture fait figure d’avant-garde. C’est un film qui pourrait - devrait - être montré dans les salles de classe et donner lieu à des cercles de parole. Il a d’ailleurs récemment été restauré et aussi projeté à la Berlinale de cette année grâce à Céline Sciamma (avec qui je suis assez d’accord*). Bientôt une redistribution à plus grande échelle? J’espère! Ce serait une très bonne nouvelle.


Voici un lien vers un bel entretien (en anglais) avec Martha Coolidge à propos du film : https://filmmakermagazine.com/117693-interview-martha-coolidge-not-a-pretty-picture/


* Céline Sciamma à propos de Not a Pretty Picture : https://www.berlinale.de/en/2023/topics/retrospective-2023.html#sciamma

oeLeo
9
Écrit par

Créée

le 7 août 2023

Critique lue 14 fois

oeLeo

Écrit par

Critique lue 14 fois

Du même critique

After Blue (Paradis sale)
oeLeo
6

oui

After Blue: Paradis Sale, ou l'histoire d'une société de sorcières sans vergogne dans un far ouest lubrique et végétal. Dans ce space western érotique, Mandico et son équipe nous font atterrir sur...

le 16 sept. 2021

15 j'aime

1

Sick of Myself
oeLeo
2

non

vu lors de l'Étrange Festival 2022, je ne pensais franchement pas que ce film sortirait en salle en France. Mais vu que c'est le cas je me permet d'ajouter ma petite pierre à l'édifice de sa...

le 4 juin 2023

13 j'aime

6

Un film dramatique
oeLeo
5

peut-être

Attention: cette critique peut gâcher votre expérience. Les prétentions du synopsis m'ont tout simplement poussé à l'écriture. D'abord un petit bout de contexte. Réalisé dans le cadre du dispositif «...

le 12 janv. 2021

6 j'aime