On peine à imaginer quelle fut la réaction de Valérie Donzelli à l’actualité tragique du monument, alors qu’elle achevait son film, dans lequel la dame éponyme se porte à merveille. L’exposition de ce film singulier y gagne encore en contraste, dans une sorte de réalité alternative qui porte les marques de nos inquiétudes contemporaines tout en les clivant, dans un mélange audacieux d’angoisse et de poésie.
Cette ligne claire, cette photo lumineuse et ces portraits d’une fraîcheur propre à une comédie dans laquelle rien de très grave ne pourrait se passer exigent du spectateur d’abdiquer sur un certain nombre d’attentes conventionnelles. Dans ce monde où les informations déversent les pires catastrophes, où les passants se giflent dans la rue, l’héroïne garde toujours la même posture, battante et positive, ne s’étonnant d’aucune intervention divine qui fait subitement d’elle l’architecte du parvis de Notre-Dame, et déclenchant par son projet l’ire bien connue des parisiens par la fâcheuse ressemblance de sa construction avec un membre turgescent. Au-delà de la satire – où chacun en prend pour son grade, des fondamentalistes chrétiens à la posture inepte de la maire de Paris, en passant par les embarrassants soutiens de la gauche médiatique de France Inter, et d’une réflexion savamment superficielle sur l’art et sa réception (à grand renfort des tartes à la crème des jurisprudence Tour Eiffel et Buren), le récit s’attache surtout au noyau de la famille et l’élaboration contrariée d’une romance.
On retrouve ici la liberté très formaliste qui avait pu animer des films comme La Guerre est déclarée ou Main dans la main, où les sursauts des sentiments sont propices aux fantaisies, de la comédie musicale à une séquence muette sur la transformation de l’appartement en location BNB, dans un ballet à l’artificialité assumée – et salutaire. Dans ce monde de la communication où toutes les paroles sont écrites (et souvent récitées de façon muette, à l’arrière-plan, par les collaborateurs), le discours n’a pas grand sens et ne fait qu’alimenter la farce d’une apocalypse annoncée. La vie reste pourtant présente, se faufile, surgit brusquement (comme un ventre de grossesse qui surgit du jour au lendemain), et engage l’histoire éternellement recommencée de l’amour. Alors, à l’échelle microscopique d’un individu, loin des parvis publics et de la sphère collective, ouvrir son cœur ne peut se faire qu’en musique. Et dans la grâce avec laquelle on chante la rupture se construit la mélodie d’un lendemain plein de promesses.