Génération oubliée
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L’actrice franco-kosovare Luàna Bajrami signe une belle évocation de la jeunesse son pays d’origine. Portrait assez implacable du Kosovo quelques mois avant son indépendance et des tensions qui y règnent, le film rend parfaitement le chaos du pays que l’on peine à imaginer quand on ne l’a pas vécu.
Kosovo, 2007. Zoé et Volta quittent leur village reculé pour intégrer l’université de Pristina. À la veille de l’indépendance, entre tensions politiques et sociales, les deux jeunes femmes se confrontent au tumulte d’un pays en quête d’identité dont la jeunesse est laissée pour compte.
Le film est construit comme l’opposition, déjà vue ailleurs mais ici particulièrement adaptée, entre la campagne et la capitale kosovare. Avec d’un côté la vie à la campagne, dans une bulle qui semble particulièrement étanche aux troubles qui secouent le pays. Le destin des deux cousines semble parfaitement écrit. Sans études et sans perspectives, elles se marieront dans des unions plus ou moins arrangées par les parents. La capitale, en revanche, est pour les deux filles symbole de liberté. Une liberté relative car elles se retrouveront percutées par la réalité politique du pays.
Il faut saluer la lucidité et la maturité de la jeune actrice-réalisatrice car elle sait particulièrement bien rendre l’illusion que se font les deux jeunes, et les désillusions qui suivront. Car la liberté n’est que dans leur imagination. Le pays semble totalement bloqué, à l’arrêt. L’université, dans laquelle elles se sont inscrites, ne peut pas fonctionner faute de professeurs. Il faut voir l’administratrice de l’université totalement désabusée qui n’a d’autres choix que d’accepter la situation avec fatalité.
Ce que j’ai beaucoup aimé dans le film, c’est sa capacité à suggérer plutôt qu’à monter. Luàna Bajrami ne montre jamais la guerre, la violence. En revanche, on en sent constamment les effets et les conséquences. Cela passe par le suicide d’un étudiant mais surtout par le choix des décors, des lieux. A l’exception du début du film et des scènes dans l’université, toutes les autres se déroulent dans des terrains vagues, dans des rues totalement vides ou sur les toits.
‘Notre Monde’ raconte de manière très émouvante la jeunesse kosovare abandonnée, laissée seule face à elle-même. Face à l’absence de perspectives et au pessimisme quant à leur avenir, ils s’entraident et tentent d’avoir un semblant de vie en allant boire des coups, faisant fi des coupures d’électricité régulières.
Malgré la peinture sociale et politique du pays, Luàna Bajrami n’en oublie pas pour autant le romanesque en dépeignant la très belle relation entre les deux cousines. Là aussi, construite sur une opposition. Il y a Zoé, la forte tête et il y a Volta, pétrie d’admiration pour sa cousine. Le film sera aussi l’évolution de leur relation. L’une réussira à s’intégrer et à se faire une place quand l’autre ne trouvera jamais la sienne et se résignera.
Ce qui fait la valeur du film, c’est qu’il est produit et fait avec des bouts de ficelles. On sent que Luàna Bajrami a quasiment tout fait, à part jouer dans son film. D’après Allociné, elle est à la fois la réalisatrice, la scénariste, la directrice de casting et la cheffe décoratrice. Faute de budget, la mise en scène basique et l’image un peu bâclée s’en font un peu sentir.
‘Notre monde’ n’est pas le chef-d’œuvre du siècle. Mais ce qui compte avant tout c’est l’histoire, la découverte d’un film kosovar comme on avait découvert il y a deux ou trois ans un film bhoutanais. Il s’agit bien plus que d’une curiosité. C’est un vrai et beau film. La qualité de celui-ci est certes son scénario plus que sa réalisation. Mais, il nous éclaire sur la situation d’un pays que l’on connaît mal et à la fin, nous émeut.
Créée
le 5 mai 2024
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