« A Cannes on retrouvait Kore-eda pour Notre petite sœur et Naomi Kawase pour An, deux œuvres faibles de cinéastes respectivement sélectionnés en 2014 et 2013. »
…écrit Stéphane du Mesnildot au sein du numéro d’octobre 2015 des Cahiers du Cinéma(1). Faible, peut-être, quoique je lui préférerai le terme de « mineur ». Mineur, donc, à l’image de I wish ou encore Tel père, tel fils, mais qui n’en reste pas moins fort appréciable tout comme ces derniers d’ailleurs. En effet, bien que Notre petite sœur ne possède pas l’inspiration des Maborosi, Still Walking et Nobody Knows, le dernier métrage d’Hirozaku Kore-eda regorge de bien des richesses à commencer par la justesse avec laquelle le réalisateur traite ses chimères familiales. Il n’en fallait pas davantage.
Adaptation de Kamakura Diary, un manga de Yoshida Akimi édité en France par Kana, Umimachi no Diary, changé en Notre petite sœur chez nous, met en scène les vies de Sachi, Yoshino et Chika, trois sœurs vivant ensemble à Kamakura dans la maison de leurs défunts grands-parents, vieille bâtisse sur laquelle s’allonge l’ombre d’un bienveillant prunier cinquantenaire. Cinquantenaire, comme leur mère qu’elles n’ont pas revu depuis quatorze-ans. De même elles n’avaient plus entendu parler de leur père depuis une quinzaine d’années lorsque la nouvelle de son décès leur parvient. Peu avant la cérémonie, elles font la connaissance de Suzu, leur demi-sœur de treize ans, qu’elles décident presque aussitôt d’adopter. Dès lors, on découvre pleinement chacune de ces quatre sœurs, qui elles-mêmes semblent se redécouvrir aux côtés de la jeune collégienne. Tout ou presque n’est plus que douceur dans cette maison au prunier.
Dans ce « dortoir de filles » comme les sœurs aiment l’appeler, le wagami des portes coulissantes est troué de toute part. Ces portes d’ailleurs, comme bloquées, ne souhaitent visiblement plus se refermer. Pourtant, lumière et douceur semblent être les seules à pouvoir s’y introduire. Constituants des événements qui animeront la sororité : ballades en bord de mer, contemplation des cerisiers en fleurs, cueillette de prunes, repas animés, feux d’artifices… le tout ponctué d’apaisantes marches à la Mikio Naruse. Tout est doux, trop doux même, parfois peut-être, au pire, doux-amer. Notre petite sœur nous apparaît bien « gentil », terme d’ailleurs employé à maintes reprises au cours du film. Aux sus-cités Maborosi, Still Walking, et Nobody Knows, Kore-eda mêlait tragique et tendresse, ici seule la douceur demeure, déborde et recouvre l’ensemble du métrage alors noyé, poli, trop poli peut-être, mais non moins agréable au toucher de notre rétine.
Avec la maestria qu’on lui connait, Kore-eda parvient à maîtriser le temps comme peu de cinéastes l’ont fait avant lui. En tissant élégamment celui-ci, le cinéaste croche, coud, noue les subtiles relations qui unissent chacun des personnages. L’image fourmille de détails, comme autant de clés qui nous permettent d’en apprendre davantage sur les résidents de la galaxie que le cinéaste réussit à coucher sur l’écran. Prenez, par exemple, ce pied et ces orteils vernis d’un bleu voyant sur lequel s’ouvre le film. Aussi insignifiant que ce plan puisse paraître, sans que nous le sachions au moment de le voir, celui-ci constitue un précieux indice quant à la relation qu’entretiennent Yoshino et sa mère. On a ainsi l’impression que ces personnages ont réellement vécu avant qu’une page de leur quotidien ne soit intégrée à la pellicule. Témoignage de la sincérité avec laquelle tout ceci est porté à l’écran.
Sincérité, assurément maître mot de Notre petite sœur, renforcé par la position du cinéaste ici. Lors d’un entretien avec Thomas Destouches pour Allociné, Kore-eda déclare : « Maintenant que j’ai perdu mes parents et que je suis devenu moi-même père, j’écris instinctivement mes films de ce point de vue, celui du père »(2). C’est donc à travers les regards bienveillants du père absent de Notre petite sœur et du cinéaste, qui confie lui-même ne pas voir assez souvent son jeune fils(3), que sur la toile se dévoilent ces quatre sœurs. Kore-eda semble connaître intimement chacune d’entre-elles et bientôt, assurément, il en sera de même pour nous. Enfin que serait cette sincérité sans une interprétation à sa hauteur ? Fort heureusement, Haruka Hayase (Sachi), Masami Nagasawa (Yoshino), Kaho (Chika) et Suzu Hirose (Suzu) s’acquittent parfaitement de leur tâche. Animées par leur naturel et leur humilité, celles-ci illuminent le film à mesure qu’elles s’y meuvent, s’y allongent au rythme des plans moyens du cinéaste et des discrètes, mais non moins touchantes compositions de Yoko Kanno.
Sincère alors, touchant donc, apaisé et apaisant. Notre petite sœur se permet de poncer le fond, plutôt que de le creuser afin de se concentrer d'avantage sur la saisissante mise en image de la vie de ses personnages. Un choix que l’on aurait pu contester si seulement nous n’avions pas succombé à ceux-là, figures plus vraies que nature auxquelles notre regard s’est délicatement attaché durant ces presque trop courtes deux heures et quelques minutes. Une production mineure dans la filmographie de Hirokazu Kore-eda, peut-être, mais l’ambition du métrage ne saurait en rien gâcher notre plaisir.
Article publié le 17/11/2015 sur Vaikarona.
- Cahiers du Cinéma n°715, octobre 2015
- http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18647952.html
- Interview de H.Kore-Eda, K.Ninomiya, S.Hwang, M.Fukuyama par les équipes de Ciné+ à l’occasion du 66ème festival de Cannes : http://www.canalplus.fr/c-cinema/c-festival-de-cannes/pid6994-interviews-cannes-2015.html?vid=869463