Incompréhension totale vis-à-vis de la réception dithyrambique réservée à Notturno ; il y avait pourtant tout à espérer du réalisateur de Below Sea Level, documentaire à la fois tendre, glaçant et hilarant sur la marginalité. Mais si dans Below Sea Level les protagonistes sont intarissables, Notturno fait au contraire le pari (trèèèèèès pesant) du silence. L’enjeu est donc le suivant : les images de Gianfranco Rosi, de toute beauté, se suffisent-elles à elles-mêmes pour rendre compte de conflits d’une complexité abyssale et du malheur qu’ils charrient ? La réponse est non, définitivement non.

Notturno procure cette désagréable sensation d’expérience (la sienne) solitaire et autocentrée. C’est un comble quand on sait que Rosi filme précisément des personnages que l’on devine directement abîmés par la guerre. Notturno est introduit par un carton très court, évoquant les dommages collatéraux sur les populations civiles en Syrie, Kurdistan, au Liban et en Irak. Mais que fait Notturno des enjeux géopolitiques et du drame humain sous-jacents ? A peu près rien, sauf le temps (mémorable, il est vrai) d’une scène dans une classe où des enfants ayant vécu sous le joug de Daech rapportent sans détour l’abomination qu’ils ont subie à leur professeur/psychologue ( ?). Pour le reste ce serait à nous de deviner qui est qui, qui fait quoi, pourquoi, et où. Trop de questions sans réponses. Qui sont ces femmes soldates, que font-elles ? Qui sont ces prisonniers ? Qui est ce chasseur dans sa barque ? Qui sont ces femmes qui pleurent un fils perdu ? Dans quel pays ? Après ces questions que l’on se pose à chaud en vient une autre, qui se tourne cette fois vers le fondement de ce documentaire : n’y-a-t-il pas d’une forme de dévoiement arty derrière ce regard aiguisé, soignant chacun de ses plans et de ses éclairages comme un tableau ? De fait, Notturno est absolument splendide mais la guerre la plus sordide mérite-t-elle de ressembler à un numéro spécial du magazine Géo sur la guerre au Moyen-Orient ?

C’est regrettable, mais l’austérité de Gianfranco Rosi provoque un sentiment, d’abord de méfiance, puis de frustration, et enfin de distanciation progressive par rapport à son œuvre : à force de se sentir exclu du contexte de ces gens abandonnés à leur solitude et/ou leur désarroi, notre compassion s’émousse, et se mue en ennui profond. Il y a trente ans, Werner Herzog réalisait Leçons de Ténèbre, formidable documentaire sur les ravages de la guerre du Golfe. A priori aussi aride (aucun dialogue, très peu de voix off), Leçons de Ténèbre est une succession de plans grandioses sur des lacs de pétrole, des puits en feu, des ruines, des cratères, et laisse peu de temps à l’humain (une seule interview, d’une femme qui a perdu ses enfants). Mais on en sort bouleversé. Parce que Leçons de Ténèbre, au contraire de Notturno, sublime les images d’Herzog en jouant sur leur puissance poétique et leur accompagnement par une bande-son sublime. Dans Notturno, on ne sent aucun projet, si ce n’est pictural, derrière le talent de metteur en scène Gianfranco Rosi. D’aucuns prétendront que le néant ressenti à la vision du film est une allégorie de celle du désastre qui touche le moyen-orient, mais on ne mange pas de ce pain-là.


Francois-Corda
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le 26 oct. 2021

Modifiée

le 6 juin 2024

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François Lam

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