Nous irons vivre ailleurs s'inscrit dans une nouvelle vague de cinéma "guerilla", dans la lignée de Donoma ou Rengaine. Un pamphlet engagé réalisé sans financement qui aborde sans concession le point de vue de l'immigré clandestin face à une France inhospitalière.

Zola souhaite partir. Initialement, son pays n'est pas clairement mentionné, mais on devine immédiatement qu'il se situe en Afrique, et que le danger n'est jamais loin. Les bombes ont encore fait vibrer les murs de la ville, et un fragile esquif attend sur la plage la poignée d'habitant qui auront sacrifié toutes leurs économies pour faire le voyage jusqu'en Europe.

Nous irons vivre ailleurs éclaire sur les motivations de ceux qui quittent leur pays pour rejoindre clandestinement la France en 2008, juste après l'élection de Nicolas Sarkozy. Adoptant le point de vue unique du héros Zola, nous vivrons la terrible condition de celui qui rêvait de marier sa culture à celle du Pays des Lumières : l'argent donné au passeur sans aucune garantie de réel départ, l'interminable traversée, le discours décourageant de la douane espagnole, le sort réservé à ceux qui parviennent enfin à poser le pied sur le sol français. Car la motivation ne suffit pas, et l'amour du pays - magnifiquement exprimé dans une tirade du plus beau français devant un tribunal implacable - non plus. Il ne suffit pas de s'exprimer dans la langue de Molière, parfois mieux que ceux nés sur place, pour convaincre un Procureur de la République qui ne jure que par l'intransigeance de la loi et réifie son interlocuteur, le réduisant à l'état de parasite envahissant. Les articles sont énoncés comme autant de couperets, tandis que la survie d'un être humain est en jeu.

L'intrigue aurait bénéficié d'un point de vue nuancé : un sans papier qui, par son attitude négative, nuit à d'honnêtes congénères aurait renforcé le sentiment d'injustice qui, avec l'empathie, découle des scènes dont nous sommes témoins. Ici, les immigrés clandestins sont réduits aux aventures d'une seule personne à l'esprit honnête, aux traits héroïques, face à la cruauté d'un système. Ce système serait dénoncé de manière encore plus efficace si la communauté à laquelle nous nous attachons était moins idéalisée.

Car le contexte à lui seul suffirait à lui seul à comprendre pourquoi certains abandonnent, craquent ou se font faire de faux papiers. Entre employeurs peu scrupuleux asservissant les travailleurs illégaux et policiers violents, entraînés à les repérer au faciès comme un chacal renifle une plaie ensanglantée à des centaines de mètres, l'insécurité quotidienne vécue par les clandestins est retranscrite de manière efficace, voire suffocante. Dès la traversée d'un désertique océan sur une simple barque, qui aurait même mérité plus d'attention au sein de l'histoire, l'épreuve subie est clairement illustrée. Le budget limité du film, lui conférant une allure de documentaire mal lissé, ne pénalise en rien l'expérience et contribue même à la rendre plus réelle.

Une fin abrupte, déstabilisante, se fait la promesse implicite d'une suite, preuve qu'en dépit d'un plaidoyer peu nuancé, Nicolas Karolszyk est parvenu à nous faire ouvrir les yeux et à nous convaincre de ne plus les fermer sur la condition de ces exilés consumés par le désir de survivre.
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le 28 nov. 2013

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