Il s’agit du premier long métrage de Florent Bernard, en tant que réalisateur. Il faut rappeler d’emblée que Florent Bernard connu aussi sous le pseudonyme FloBer (créateur de Floodcast, Bloqués, il a aussi participé à Golden Moustache) est aussi à l’affiche du superbe Vermines, en tant que co-scénariste. Il a participé à l’écriture de La Flamme. C’est un fan d’Apatow et pour Nous, les Leroy il revendique aussi l’influence d’A bout de course (le chef d’œuvre de Lumet), de Kramer contre Kramer, les films d’Hal Hashby, Tandem de Patrice Leconte. C’est mon nouveau pote, en somme.
Sandrine Leroy (Charlotte Gainsbourg) annonce à son mari qu’elle veut divorcer. Leurs enfants ont bientôt l’âge de quitter le foyer. Or dans une opération de la dernière chance, Christophe (José Garcia) organise un week-end visant à traverser les lieux de leur histoire familiale, afin de sauver son mariage ou ce qu’il en reste.
D’emblée il y a une idée. Pas qu’elle soit des plus réussies, mais c’est déjà une idée : raconter vingt ans de la vie d’un couple à travers les messages qu’ils se sont laissés sur le répondeur. Ce n’est pas juste un gimmick introductif, le film ne cessera d’y revenir, par cette vieille cassette du premier message enregistré ou via ce smartphone affichant les nombreux messages non écoutés.
Le regard y est évidemment nostalgique puisqu’il s’agit de replonger dans les belles années de ce couple, ce que le récit fera aussi, dans le mouvement imposé par Christophe : Il faut donc un vieux Land Rover. Du Michel Sardou, du Niagara. La présence magnifique de Luis Rego. C’est un film très personnel, aussi, ça se sent. Il y a du vécu, partout. Mais c’est aussi un road trip. Mais un faux road trip : ils vont de Autun à Dijon. Pour ne pas dire de chez eux à chez Papy. C’est davantage un road trip intime, en somme. C’est d’une humilité déconcertante.
C’est un portrait de couple, un portrait de famille et le portrait d’une séparation. Mais c’est aussi le portrait de Français moyens, d’une France périphérique, celle des zones industrielles, la France des parkings où un resto est coincé entre une agence de voyages et une société de locations de véhicules. Les deux personnages sont d’ailleurs respectivement employés dans l’un et dans l’autre.
C’est magnifiquement écrit, des rôles principaux aux plus secondaires. J’ai adoré chacun de ces personnages : ce père, qui voudrait retrouver la respiration d’un passé tout en sachant qu’il ne peut revivre que dans sa mémoire : la scène du souvenir dans le premier appartement du couple, c’est très beau, c’est vif et pourtant si passé, lointain, perdu : on y ressent tout ça. Autant que j’adore le collègue de Christophe, qui préfère la solitude parce que « la flemme de rencontrer quelqu’un d’autre » (et sa manie géniale de répéter « pas de souce ») ou celui de ce grand-père qui se satisfait avec philosophie d’un veuvage brutal et précoce. Chaque personnage de ce film est construit, pensé, a une histoire à laquelle on croit, c’est brillant.
On s’attache à eux, aussi médiocres puissent ils être : C’est comme si Sandrine se réveillait d’un long sommeil et en voulant soudainement à son mec d’avoir toujours été celui qu’il est. Et pourtant sa quête d’un nouveau départ a quelque chose de bouleversant, de vivant. C’est une pulsion de vie. Christophe, lui, est clairement un pur produit du patriarcat, bourrin, bas du front. Et pourtant, sa volonté de vouloir recoller les morceaux à tout prix est très touchante. Souvent parce qu’il le fait très maladroitement d’ailleurs, à l’image de la scène du restaurant karaoké. Probablement la séquence la plus drôle et la plus violente du film. C’est aussi cet équilibre qui est brillant dans Nous, les Leroy : on peut être dans une situation ambivalente, tour à tour drôle, triste, gênante. Tout se mélange.
C’est un film construit autour de séquences iconiques sans qu’elles fassent office de sketchs indépendants. On a évoqué la scène du restaurant mais comment oublier celle du bus, du caricaturiste, du flic, du chauffeur « LuxeCar » ou du nouveau proprio de leur premier appartement : Jérôme Niel est décidément partout ces derniers temps, je sais pas si un type me fait plus marrer à l’heure actuelle.
La grande réussite du film se joue dans son titre, en définitive. Nous, les Leroy m’intéressait peu, au préalable, sans doute car j’avais la sensation qu’on allait me raconter le trip égocentrique d’une famille. Que j’en ressortirais en disant Eux, les Leroy. Mais non, le Nous c’est l’essence de ce titre : Cette famille c’est la nôtre. Le film a ce truc très universel. Et il va jusqu’au bout de son geste : C’est un peu l’anti Little miss Sunshine. Tout sera différent, après. Ce dernier geste, ce dernier regard, ce dernier partage, c’est le truc qui me fait le plus chialer au monde, je crois.
C’est un film très drôle, oui. Mais un rire mélancolique. Le plus beau des rires. Le film a beaucoup résonné avec mon histoire personnelle. J’ai ressenti une familiarité de bout en bout. J’en suis sorti à la fois très ému et très reconnaissant, ravi qu’on puisse offrir un tel portrait de famille dans un circuit cinématographique si populaire.