J’avais toutes les raisons de ne pas écrire une critique sur le premier film de Florent Bernard. La première, c’est que je savais que j’allais probablement manquer d’objectivité lorsqu’il s’agirait de voir et juger un film dont j'entends tant parler depuis plus d’un an sur un podcast dont je suis un auditeur fidèle. La seconde, c’est que je n’allais pas pouvoir déployer mon arsenal habituel de critères supposément concrets pour écrire sur un film qui ne s’inscrit pas dans la catégorie de ceux que j’ai pour coutume de disséquer.
La troisième, et en réalité la plus importante, c’est que parler de ce film me condamnerait à sortir de mes grilles traditionnelles de lecture, pour un format beaucoup plus intime et qui jurerait peut-être avec la ligne éditoriale qui s’est finalement imposée dans la kyrielle de critiques que je dépose ici depuis plus de dix ans.
L’occasion de se reformuler un flot de questions sur cette cinéphilie qui est l’un des trois pleins temps de mon existence, à commencer par ce mythe de l’objectivité face à une œuvre. Bien sûr que j’ai, avant même que le film ne sorte, une tendresse pour ce projet formulé par un gars que je ne connais pas, mais que les confidences et l’enthousiasme débordant pour la comédie ont placé dans un coin singulier de mon paysage culturel ; ces personnalités qu’on sait connaître un peu plus que les autres, et qu’on a presque le tort de considérer comme des proches, dont on suit le travail comme on le ferait d’un membre de la famille.
Alors oui, voir les copains de la bande défiler pour jouer leurs sketches dépasse largement la gratuité d’un name dropping, reconnaître dans les vannes des private jokes d’un gars qui vous a dévoilé son univers depuis des années ajoute au charme, et les maladresses du premier film génèrent surtout de la tendresse pour le gamin qui déploie ses ailes.
Je ne suis pas un grand client de la comédie, et encore moins de l’hexagonale. Ceux qui me lisent savent que j’ai en revanche à cœur de défendre la production française, et je me surprends, d’années en années, à être de plus en plus touché par certains films que je n’aurais pas considéré comme m’étant destinés il y a quelques années encore. Toni en famille, Je verrai toujours vos visages, Le Règne animal ou encore Les Passagers de la nuit, pour ne citer que les plus récents, allient justesse et authenticité, et investissent ce territoire finalement assez dangereux pour le cinéphile analytique d’une évocation sans cynisme des rapports humains, prenant le risque de la tendresse dans les portraits. Et c’est là la grande qualité de Nous, les Leroy, que d’aimer ses personnages, et de les faire exister, bien au-delà d’une intrigue qui balance une famille sur la route avec l’objectif précis d’en faire le portrait lors des pauses, des détours et des voies de traverse, ces instants de flottement où la vérité émerge sans prévenir. J’aime la complexité de personnages à qui on peut faire bien des reproches, cette violence d’engueulades qui racontent le quotidien de tant d’adolescents à qui je fais cours au quotidien, la finesse avec laquelle Florent Bernard joue toujours sur le fil de la sentimentalité et la lucidité, notamment à la faveur d’un karaoké saturé d’amertume. J’aime voir les figurants traditionnels de la comédie française, j’ai nommé les adolescents mal dégrossis, pirater littéralement les échanges pour devenir de réels personnages, et recentrer le questionnement, non sur un couple, mais sur une famille.
Mais en réalité, j’aurais pu ne rien écrire d’autre sur Nous, les Leroy, que ce qui va suivre. J’en ai déjà parlé ici : ma cinéphilie est née lorsque mon père a commencé à me raconter les films que mes parents avaient vu la veille en salle. Dans ce que je transmets à mes fils, le cinéma a bien évidemment une grande importance. Je savais depuis le début que je voulais les emmener voir ce film, et comme un écho ironique à ce qu’y affirme Bastien, l’aîné n’a pu être des nôtres, car le voilà de son côté pour ses études. Mais la séance que j’ai passée avec le cadet a été exactement celle que j’attendais. Depuis des années, je prends toujours soin de ne pas leur donner mon avis sur les films, et c’est devenu pour eux une vanne que de comparer ce qu’on débriefe ensemble à la note souvent bien plus sévère que je mets par la suite sur SC. Parce que leur réception est bien plus importante, et qu’il n’est pas question que je leur fasse brûler les étapes de cette précieuse fraîcheur qui compose le paysage culturel de l’enfance ou l’adolescence.
J’ai donc vu ce film avec mon deuxième ado, évidemment d’autant plus ému lorsqu’il évoquait les rapports père-fils, qui se chargeaient, par la fiction, et sur la toile devant nous, de formuler ce qui ressort de l’évidence entre nous, mais qu’une certaine pudeur laisse à l’état d’implicite.
Et j’ai adoré ce long retour après la projection, où nous avons repris les meilleurs moments, et où j’ai retrouvé cet enthousiasme débordant qui fait la jeunesse, qui peut être aussi impitoyable que désarmante d’authenticité. On a parlé des vannes, des adolescents du film, de sa justesse, des malices de l’écriture. Le reste, sur l’amour d’un père pour son fils, n’a pas été abordé. C’était totalement inutile : un scénariste étant lui-même passé par la fiction pour combler certains de ses manques s’en était chargé avec justesse et talent.