Dès le début, le film cherche à te choper, à te traîner dans ce foutu quotidien des Leroy. Des petits riens, tu vois. Ils achètent la baraque, gribouillent leur nom sur la boîte aux lettres, achètent du PQ, fêtent Noël... et puis crac, le chat qui clamse. La routine, et la mort qui rôde.
Christophe Leroy, figure centrale, c’est l’homme honnête, le brave gars, un peu couillon sur les bords. Il veut bien faire, mais rien dans le ventre, pas une étincelle. Il roule en pilotage automatique, va au Futuroscope pour les grandes vacances, pas par radinerie, mais par ennui ; prosaïque le Christophe. Un brave type qui voit pas que tout peut s’effondrer d’un coup. Et c’est justement pour ça qu’il te prend aux tripes. Tu lui jetterais bien un peu de mépris à ce Christophe, mais il est trop pathétique pour ça, presque attachant dans sa nullité sentimentale. Le film te le montre bien, ce gars, avec sa naïveté d’enfant perdu, coincé dans ses illusions de sécurité. Oui, il est nigaud, il est peut-être ringard, mais c’est un pauvre type sincère, qui voit pas la falaise au bout du chemin.
Et Sandrine, elle ? Ah, Sandrine... Un mystère, un trou noir. La femme mélancolie, engluée dans un vague mal-être qui te scie en deux, ce mal féminin, comme un brouillard qui colle et l’étouffe. Elle se casse de là sans bruit, sans passion, comme on referme une porte qu’on sait jamais avoir vraiment ouverte. Pas un cri, pas un mot de trop, juste cette froideur glaciale. C’est d’un réalisme tordu, ce genre de rupture qui te tombe dessus comme une chape de plomb, comme un verdict. « Je ne t’aime plus », qu’elle dit, la Sandrine, tranquille comme si elle parlait de la météo. Et Christophe, il sait pas où se foutre avec ça. C’est ça, sa tragédie : il est celui qui aime encore quand l’autre a déjà franchi la ligne, là où y’a plus rien à sauver. Ce qu’elle incarne, Sandrine, c’est cette vérité crue, celle des femmes qui partent, comme ça, sans bruit, sans colère. On pourrait crier au cliché, mais y’a rien à faire, c’est là. Cette lassitude qui donne même plus envie de réparer quoi que ce soit. Christophe pige que dalle, et comment il pourrait ?
Les gosses, alors ? Bah, des satellites paumés dans l’orbite du grand éclatement. La famille pour eux, tu parles, c’est juste une petite clause optionnelle. « Je quitte papa, c’est bon ? » – « Ben oui ». Même pas un éclat de tristesse, une étincelle de rage. Ils regardent tout ça de loin, Bastien, l’aîné, qui se casse la gueule dans sa première embrouille amoureuse, rompt par dépit, s’embourbe dans ses incertitudes. Et Loreleï, elle, c’est la grande comédie de la tristesse, elle enfile ses bandages comme des insignes de drame, elle bricole son petit théâtre pour attirer le regard, même pas malheureuse, juste en rade d’attention. Et puis, ah, ben tiens, ça va donner de quoi remplir l’ennui, le divorce de papa et maman !
Et là, qu’est-ce qu’il trouve de mieux à faire, Christophe, pour sauver la baraque ? Un week-end « d’aventure »... ah ! ou plutôt un pèlerinage minable sur les ruines de ce qui n’est déjà plus. Retourner aux lieux de leur amour éteint, comme si ça pouvait raviver le moindre truc. Mais non, c’est foutu d’avance. Il apparaît pathétique, avec sa croyance à deux balles que les souvenirs peuvent tout recoller. C’est là toute sa chute : être celui qui cherche encore quand l’autre est parti depuis longtemps.
Et voilà, la seule force du film, cette brutalité honnête. Pas de happy end, pas de magie hollywoodienne. Le nom sur la boîte aux lettres, il change, Sandrine s’en va, une famille en miettes. C’est froid, c’est dur, mais c’est la foutue réalité. Le film te balance ça dans la gueule, sans fard, sans consolation à deux sous. Ça finit sans illusion, en toute lucidité. Nous les Leroy expose l’usure, les failles, les liens qui s’effilochent en silence. C’est le vide humain, le vrai, celui qu’on se refuse à voir. Et là-dedans, c’est là que réside toute sa vérité.
Ce qui m’emmerde, c’est ce vide de voix féminine, cette absence de perspective pour comprendre ce qui se passe dans la tête de Sandrine. Elle part, c’est tout, elle sait même pas pourquoi, le film s’en fout presque de savoir. « C’est comme ça », qu’il te dit, le film. Pas de bon, de mauvais, de drame qui hurle. On voudrait savoir ce qui tourne vraiment dans sa caboche, Sandrine, mais le film nous laisse en plan, comme Sandrine. Elle part, il reste, la famille éclate en silence. Tout est fini, et puis, après tout, est-ce si grave ? La vie continue, tu vois.
Le film choisit le parti d’une chute familiale sans éclat, une fin sans larme, un « c’est comme ça » qui t’assomme. On t’invite à contempler l’indifférence, ce miroir d’un monde où chacun suit son bon plaisir, sans se retourner. Christophe trinque, mais c’est une logique implacable : elle ressent le besoin de partir, et voilà. Oui, mais pour aller où ? Elle-même n’en sait rien, et franchement, ça n’a même pas la moindre importance.
On sort de là, paumé, à se demander ce que ça raconte au fond : est-ce que ce destin pourrait être le nôtre ? Que si on reste accroché à nos foutues illusions, on finira broyé, vidé, comme Christophe ? Et si, après tout, c’était ça, la vie ? Qu’au fond, rester marié vingt ans, c’est déjà pas si mal ? Bienvenue dans le vide moderne, là où quand ça va pas, on se casse. Mais pas de drame, pas d’emportement. Tu vois, je souris
Ps : Oui, Sandrine a un mec, bande de couillons!