Nous ne vieillirons pas ensemble par Alligator
Non, en effet, ils ne vieilliront pas ensemble et ce n'est pas faute d'avoir essayé. On se prend des mandales dans la tronche presque directement. Quelques minutes après le début du film Jean Yanne attaque sa diatribe célèbre dans la voiture, avec cette scène hallucinante de violence verbale sur Marlène Jobert qui avait déjà reçu des coups de semonces dans une rue camarguaise. Pas uniquement de semonces d'ailleurs d'après un dialogue avec ses parents. On aura échappé à la violence physique en tant que spectateur, le personnage jouée par Jobert manifestement non.
Bref, pendant les premières minutes de film, on reste abasourdi par cette violence, que l'on peine à justifier, au moins intellectuellement. D'où vient-elle? A quoi sert-elle? Que veut-elle exprimer? A quoi peut bien jouer le personnage de Yanne? Qu'est-ce qui peut justifier que Catherine, appellons-les par leur prénom, continue de rester avec cette boule de violence, ce discours dénigrant, avilissant, cette masse de haine ambulante. Pourquoi ce couple? Et l'on se demande comment on va pouvoir supporter la suite et cette incompréhension? Qu'est-ce que ça veut dire? Pourquoi se haïr, être ensemble, pour se faire autant de mal? Est-ce une vue de l'esprit? Un jeu sado-masochiste?
Devant la violence aussi crue, on se sent pris par la sienne propre, Yanne est si bon acteur, son personnage est si ignoble qu'on a envie de lui faire mal, de l'arrêter, on aurait envie que Jobert se révolte, on a peur en quelque sorte et on se pose mille questions.
Vouloir y voir une simple relation sado-masochiste et s'en contenter serait une erreur et le film de Pialat est là pour nous rattraper par la manche et nous dire de prendre du temps pour essayer de comprendre avant tout, que la vie est parfois plus compliquée et qu'il faut savoir et essayer de comprendre les autres même quand ils sont aussi infects. Pas facile.
Le ciné de Pialat n'est pas à l'évidence là pour faire du facile. Je lui en rends grâce.
Malgré la violence, malgré l'incompréhension, on passe pourtant un très bon moment. Un de ceux-là, vous savez, que vous retenez, qui vous retiennent, on ne sait pas trop dans quel sens ça attire et plaque. Quoiqu'il en soit, on ne sort pas indemne d'un tel film. Il remue les tripes.
Les deux acteurs dépassent leurs propres frontières et vont chercher une sincérité émouvante. Yanne excelle à jouer l'immonde crapule égoïste, impulsive, cruelle et somme toute je pense prompte à se regarder, même s'il aime, en train de souffrir. La grosse brute fragile en dedans n'est pas si facile à mettre en corps. Ses regards, son air pataud, lourd, avec une nonchalance feinte, périlleuse pour l'entourage, ses allures de volcan en sommeil prêt à éclabousser de sa furie tout ce qui bouge sont d'une justesse impressionnante. Jean Yanne est un immense acteur et le prouve. Personnellement, je m'en étais aperçu comme beaucoup bien avant, par contre Marlène Jobert, j'étais moins disposé à le croire et c'est donc plus qu'une surprise, une révélation toute personnelle. Son personnage est à la fois extrêmement fragile et prêt à encaisser énormément de violence. Elle parvient très bien à lui donner une densité amoureuse et à lui retirer petit à petit, usée par les coups et les déceptions de ces sentiments. Peu à peu la révolte prend forme. Elle répond un peu. Mais jamais elle ne le lache vraiment. Jusqu'à la fin elle sera là pour l'aider à s'en sortir. Bref, là encore son personnage n'est pas d'un bloc. Et Jobert parvient tellement bien à incarner cette évolution.
C'est marrant, si je puis dire, mais j'ai l'impression que chez Pialat on retrouve toujours un peu la même brutalité, et la demande d'amour derrière. A prendre ou à laisser. La plupart du temps on laisse, pour son salut. Il y a comme une inacessibilité au bonheur dans ce cinéma là. Pas pour les spectateurs par contre.
Ce film, plus j'y pense, plus je l'aime et plus je le trouve riche.