Tôt ou tard, les poils à gratter comiques du Paf s'en vont envahir le septième art, avec des fortunes diverses certes, mais force est d'admettre que le giron humoristique de chez Canal + peut se féliciter de connaitre un succès en salles des plus remarquables.
Que ce soit la délirante Bande à Fifi (le génial Babysitting, sa suite est d'ailleurs en plein montage), les Kaïras Shopping (le film Les Kaïras, et les belles carrières en solo de Frank Gastambide et Medi Sadoun), Fabrice Eboué et Thomas Njigol (Case Départ, Les Crocodiles du Botswanga et Fastlife pour ne citer que leurs réalisations) ou encore Kyan Khojandi (le joli Lou ! Journal Infime), tous ont plus ou moins réussi à faire leur trou et pourront certainement prétendre suivre les pas de leurs ainés Omar Sy, Fred Testot ou même Jamel Debbouze.
Si les plus récents en date à avoir sauter le pas, la délirante Camille Cottin (qui a joliment réussi son coup avec son délirant et WTF juste ce qu'il faut Connasse - Princesse des Cœurs) et le sympathique Alex Lutz (la comédie générationnelle façon bromance existentielle avec Le Talent de mes Amis) nous ont conquis un peu plus tôt dans l'année, c'est au tour cette fois de Kheiron Tabib de tenter sa chance sur grand écran.
Désopilant aussi bien sur scène avec le Jamel Comedy Club (qui l'a révélé) puis à la télévision via la mini-série culte Bref, le wannabe cinéaste français d’origine iranienne est loin d'être le moins ambitieux du lot puisqu'il s'échine pour sa première réalisation, Nous Trois ou Rien, à compter le destin courageux de ses parents avec l'appui d'un casting de talents assez impressionnant pour un premier passage derrière la caméra (Gérard Darmon, Zabou Breitman, Leïla Bekhti, Alexandre Astier).
Et autant l'avouer tout de suite, plus qu'une simple surprise, Nous Trois ou Rien est sans l'ombre d'un doute l'un des plus beaux films français de la pourtant riche année ciné de 2015, et sans conteste l'un des premiers films les plus aboutis vu ces dernières années dans nos salles obscures.
Parce que, sincèrement, qui aurait pu croire que le meilleur ami un tantinet obsédé (pour être poli) de Kyan dans Bref, pouvait posséder un univers aussi puissant et impressionnant ?
Pas nous, et la surprenante découverte de son premier long n'en est donc que plus grande, pure comédie dramatico-sociale désarmante de justesse et d'audace, traitant de thèmes importants tels que l'immigration, l'intégration, la politique aussi bien iranienne (sous le régime de terreur de Mohammad Reza Pahlavi) que française (via une vision populaire et réaliste en plein cœur des cités); le tout porté par un ton jonglant habilement entre humour et gravité et des dialogues finement scriptés.
Portrait pétri d'amour et de fierté d'un fils pour ses parents, témoignage vibrant d'une époque charnière de l'Iran - le film conte les prémisses de la Révolution populaire iranienne - sous fond d'une romance touchante et d'une fuite en avant désopilante (le départ pour la France de Fereshteh et Hibat est un moment fort du métrage) ne tombant jamais dans la surenchère facile ou le pathos de supermarché écœurant; Nous Trois ou Rien est un baptême du feu sincère et sans fausse note tant même la mise en scène (épurée et précise) brille sous le signe de la maitrise.
Et pour ne rien gâcher à la fête, Kheiron, également interprète vedette, dévoile toute sa palette de jeu dans la peau pleine de douceur et de détermination de son père Hibat; il rend parfaitement l'appareil à la merveilleuse Leila Bekhti, renversante en femme et mère aussi aimante que courageuse.
Même au rayon des seconds couteaux, les choix intelligents de Kheiron paye puisqu'on a rarement vu un Gérard Darmon aussi inspiré et émouvant sur grand écran ses dernières années, idem pour ce qui est Zabou Breitman.
Sans crier gare, Kheiron s'ouvre en grand les portes du septième art hexagonale avec une comédie dramatique légère, généreuse et populaire - dans le bon sens du terme -, une œuvre touchante et infiniment personnelle qui le place (déjà) tout en haut de notre liste des nouveaux cinéastes français les plus à suivre du moment.
On en fait l'un de nos favoris aux prochains César (avec La Loi du Marché), en espérant que l'Académie ne le laisse pas sur le carreau au moment des nominations d'ici janvier prochain.
Jonathan Chevrier
http://fuckingcinephiles.blogspot.com/2015/10/critique-nous-trois-ou-rien.html