Nuit et brouillard, c'est une grande incompréhension française. Un film qui doit être bien contextualisé pour en saisir l'importance. Certains lui reprochent sa durée, son analyse absente de la machine génocidaire nazie, son ton lyrique... Il y a, me semble-t-il, maldonne. Nuit et brouillard n'est pas un documentaire informatif. C'est une révolution.
Retour à l'époque de sa sortie : les années 50, en France, sont marquées par ce que l'historien Henry Rousso ( le syndrome de Vichy, 1987) appelle le "résistancialisme", c'est-à-dire le mythe officiel soutenu par les gaullistes et les communistes ( les plus grandes forces politiques de l'époque), pour des raisons différentes, consistant à dire que toute la France a été résistante. On évite ainsi les tensions, un risque de guerre civile, on reconstruit vite la France dans cette guerre froide naissante. Et la, BIM, sort nuit et brouillard. 32 minutes d'images d'archives mises en scène et en musique par un Resnais fort inspiré. Et on y voit tout. Dans un rythme s'accélérant, on passe de l'occupation à la mort, au génocide. Artistiquement, c'est superbe. Historiquement, cela remet en lumière le génocide, pas aussi à la mode que cela avant 1960 et le procès d'Eichmann en Israël. Mais là où nuit et brouillard est incontournable, c'est lorsqu'il montre le camp de Pithiviers. Les futurs déportés y sont surveillés par un gendarme français. La France n'a donc pas été unanimement résistante, ses fonctionnaires ont conduit des gens à la mort. Le choc est rude pour la France gaulliste, à tel point que le film est censuré. Jusqu'à la ressortie DVD en ... 1997. Le képi du gendarme ayant été masqué par un coup de feutre. Ouf, la France est innocente.
L'appareil génocidaire, le rôle de la France, la déportation ne sont effectivement pas expliqués dans nuit et brouillard. C'est trop lui demander, compte tenu de la date de sa création. Mais il sera l'un des premiers documents à formellement contester la position officielle française. Un document inestimable.