On n'avait plus eu de Johnnie To en salles depuis la sortie (confidentielle) de La vie sans principe. Office partage avec ce dernier la volonté d'évoquer la crise financière qui a frappé l'Asie en 2008. Et si la vie sans principe était une production 100% HK, Office repose en grande partie sur des capitaux chinois pour un marché chinois... ce qui implique quelque changements. Sans doute pour contourner la censure, le cinéaste opte donc pour une comédie musicale se déroulant en majorité dans les bureaux d'une grande compagnie sur le point d'être introduite en bourse.
Celà dit, on sait aussi que Johnnie To n'a jamais vraiment été un auteur et que ses sujets sociaux-politiques ne sont que peu développés ou approfondis (comme Breaking News) pour privilégier essentiellement l'ambiance et la réalisation.
Office ne déroge pas à la règle est s'impose comme un étourdissant exercice de style virtuose un brin vide et superficiel vu le potentiel de son sujet, réduit à un génial parti pris : des décors à la construction théâtrale, presque aussi épuré que ceux de Dogville et qui correspondent à la logique d'Open Space qui auraient contaminés la société entière. Et je ne parle pas uniquement du monde de l'entreprise mais aussi de la ville en tant que tel : métro, hall, appartement... Tout est ramené à une architecture "filaire" et du vide. Un manière aussi d'évoquer un monde littéralement transparent où le vol d'informations et d'idées est un risque omniprésent.
La direction artistique est tout bonnement éclatante, renforcée par une utilisation de la 3D très pertinente qui joue beaucoup sur la profondeur de champ, les déplacements de la foule, les sources de lumière, les perspectives, les valeurs de cadres etc... Les rapports de force au cœur de cette entreprise s'en trouvent fortement renforcés pour mieux mettre à mal les rapports hypocrites et les confrontations d'influences au sein de cette compagnie. Et Johnnie To pousse encore plus loin ce dispositif individualiste en prenant le contrepied de la comédie musicale, genre collectif par définition, qui devient ici totalement individualiste. Le cinéaste multiplie les fulgurants et nerveux mouvements de caméra qu'il brise dans leurs élans par un montage tout en rupture.
Dans Office, l'harmonie n'a pas sa place.
Certain moments sont de fabuleux tour de force dans l'utilisation d'une caméra ultra-dynamique (louma ?) mais qui risque aussi de frustrer le spectateur qui s'attendent à une comédie musicale traditionnelle. Pas de chorégraphie, pas de réelles danses et des mélodies assez répétitives (et pas du tout entêtantes). La véritable et unique danseuse est la caméra et on voit bien que To n'a d'yeux que pour elle même si il essaie un peu de faire vivre ses personnages qui possèdent chacun un ou deux moments réussis ou touchants. Malheureusement l'écriture est assez réduite et on finit par croire que les décors transparents ont aussi touchés la caractérisation et l’interprétation ainsi s'avère fortement inégale. Ca reste la grande faiblesse d'Office et même Chow Yun Fat n'a pas l'air très à l'aise et n'imprime pas son charisme naturel. Le dernier tiers parvient cependant à accélérer la narration avec une certaine intensité dramatique.
Pour ma part, le brio de la réalisation, des décors, de la photographie et de la 3D ont suffit à me maintenir attentionné tout en regrettant que le scénario ne soit pas plus ambitieux, s'arrêtant à un vernis un peu léger. Je trouve aussi dommage que le film ne s'attarde pas davantage sur les oubliés de ce capitalisme qui surgissent de manière cruelle le temps de 2 plans : une personne âgée poussant une montagne de cartons et un plan-séquences circulaire gravitant autour de livreur de journaux, propriétaires d'échoppes ambulantes... D'un autre côté leur absence rend leur apparition d'autant plus marquante.