Oh Lucy ! est une œuvre régie par le verbe anglais to switch, signifiant « changer, commuter ». Le premier changement est d’ordre langagier, Setsuko s’initiant à l’anglais dans le cadre d’une série de cours jusqu’à se voire renommée, rebaptisée Lucy ; le deuxième changement est d’ordre culturel et spatial, la Japonaise traversant l’océan pour se rendre en Californie retrouver sa nièce et, surtout, son beau professeur ; le troisième et dernier changement est d’ordre affectif, Setsuko stoppant la monotonie de sa vie pour s’en rendre maître, contre un travail qui l’ennuie et une sœur qui la méprise et l’accuse de se montrer égoïste.
Le parcours suivi est donc celui d’un engagement, d’une volonté d’agir sur son destin pour exorciser le désarroi qui pousse nombre de travailleurs japonais au suicide ; en ce sens, le long métrage constitue également un puissant témoignage de ce malaise, résultat d’une société des apparences aussi hypocrite que violente. La parenthèse américaine sert d’exutoire, elle est une zone de libération dans laquelle tout est possible, un espace d’expérimentation sensitive, pulsionnelle et sexuelle de la même façon que la guerre, dans Bitter Victory (Nicholas Ray, 1957) ou Flandres (Bruno Dumont, 2006), offrait au soldat l’occasion d’extérioriser ses frustrations et de faire ses preuves. Nul hasard, par conséquent, si c’est grâce au stage linguistique que deux solitudes s’apprivoisent et s’unissent.
Porté par des acteurs remarquables, mention spéciale à Shinobu Terajima et Josh Hartnett, Oh Lucy ! est une œuvre dense et intelligente qui mêle adroitement les tons pour mieux brosser le portrait de la solitude urbaine au Japon.