Ce matin j'ai vu un film effroyable, je veux dire, d'une terrifiante beauté. Pendant une heure dix, des corps d'hommes défilent devant tes yeux, des corps déchiquetés par la guerre, des corps rongés, ou arrachés de quelques uns de leurs membres, et ces visages te regardent. Des yeux. Je n'avais jamais vu ailleurs ce regard. Ils te regardent de face sans sourciller, sans honte, sans gêne. Alors que toi tu voudrais parfois détourner ce regard, tu voudrais fermer les yeux, ou baisser l'écran, car ces images te sont insupportables, mais tu sais que tu n'en as pas le droit. Tu sais que même si toutes ces personnes sont déjà mortes et ne souffrent plus, tu as le devoir de les regarder, d'accompagner leur nudité. Tu as le devoir de t'en rappeler. C'est pour cela que ces deux cinéastes ont pendant des années récolté partout ces lambeaux d'images où ils le pouvaient, c'est pour cela qui les ont patiemment assemblés, décollés de leur socles ou de leur gangue tous ses films, c'est pour cela, que malgré la moisissure, malgré les trouées, les brûlures, les virages au jaunes, au rouge, au vert, les images sont là, devant nous, et nous parlent. C'est pour cela qu'à la 51ème minute il y a soudain cet homme qui rit de toute ton âme. Il n'avait plus de bouche, mais le rire était dans ses yeux.