Okaeri a apparemment acquis un statut de film culte au sein des amateurs de cinéma japonais underground depuis plusieurs années. Tourné avec un budget très (très) réduit par Makoto Shinozaki, un projectionniste et critique amateur de cinéma, le film n’a eu qu’une audience extrêmement limitée au Japon, et quasi nulle ailleurs dans le monde. En dehors des copies pirates et de l’exemplaire original que prête son auteur à quelques rétrospectives, il reste en effet difficile de mettre la main dessus.
Mais cette rareté, couplée à l’économie de moyens qui transparaît a fortiori une fois le film achevé, n’enlèvent en rien à Okaeri des qualités cinématographiques intrinsèques, proches du shomingeiki ozuïen et annonciatrices des œuvres naturalistes tournées par Nobuhiro Suwa au début du XXIe siècle. Takashi (joué par Susumu Terajima, vétéran des films de Kitano) est enseignant. Il est marié depuis presque trois ans à Yuriko (Miho Uemura, dans le seul rôle de sa vie), une ancienne pianiste qui est devenue femme au foyer. Bientôt, elle va manifester les symptômes de plus en plus inquiétants d’une maladie mentale…
Un scénario simple, qui se déroule avec fluidité. Tout l’art de Shinozaki est, comme Suwa après lui, de savoir poser sa caméra et de laisser aux acteurs le soin de jouer avec beaucoup d’improvisation, sans en faire trop. Les sentiments qui naissent à l’écran captivent ainsi par leur naturel, subjuguent par leur sincérité, touchent par leur tragique. Le cinéaste observe méticuleusement les réactions d’un mari tour à tour interloqué, inquiet puis dévoué pour sa femme, dont il ne semblait pas pourtant très proche au tout début, face aux difficultés de la maladie mentale.
Du début jusqu’à la fin, Okaeri ne dit, n’affirme rien. Il montre et laisse le soin au spectateur de se faire juge sur le possible sous-texte à donner à cette histoire. Comme Suwa avec M/Other quelques temps plus tard, Shinozaki a-t-il en tête de susciter une critique de la vie de couple au Japon, des rapports de domination de l’homme sur la femme ? Ce serait possible, et en même temps rien ne permet d’aboutir à une telle conclusion. Les lectures sont ouvertes, peut-être trop d’ailleurs, et l’on aurait aimé que le film dure un peu plus, travaille sur cette idée de décalage des points de vue entre le mari et la femme, afin d’en obtenir quelque chose de narrativement plus complet, et donc possiblement de plus signifiant.
Il n’en demeure pas moins que le métrage de Shinozaki reste de grande qualité par sa forme (quasi exclusivement des plans dont le cadre est fixe, millimétré et très réfléchi : joie !), et sa direction d’acteurs, absolument phénoménale. Une belle découverte pour les amateurs de cinéma japonais intimiste des années 1990-2000, sous réserve de se le procurer...