Son of a beach
A chaque fois, on nous refait le même coup, quand il s'agit de M. Night Shyamalan. Avec Old, comme cela devait déjà être le cas avec Glass, The Visit et presque tous les autres depuis Le Village, on...
le 24 juil. 2021
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Recueillir la pulpe de la mythologie, une fois le genre pressé, voilà en partie le point de friction opposant Shyamalan à son public. Une erreur de communication et (ou ?) de marketing certainement dûe aux succès fracassants de ses quatre premières oeuvres. Longtemps, les productions de Night ont fait face aux écuries dévastatrices du blockbuster Hollywoodien ou comment batailler dans les arènes des mastodontes en laissant dubitatifs les bourrins de la pyrotechnie. Cette incompréhension des spectateurs qui se délestent, film après film, de cette ex-figure de proue du cinéma des années 2000 s'explique par la mutation de l'entertainment vers des sommets d'ironie mais aussi par l'éloignement du réalisateur des standards visuels et de l'acting privilégiant le décalage et l'angle rare. On aborde pas Shyamalan comme on se délecte d'un rollercoaster à 100 M de dollars. Comprendre les fondements du cinéma de l'auteur de Signes, c'est en accepter ses superbes éclats, sa fragilité omniprésente et surtout sa dimension humaine. Cela peut paraitre évident pour certains et beaucoup (mais alors beaucoup) moins pour d'autres...
Ne voyons pas Old comme l'apogée de son architecte ni même comme un film mineur, expression ō combien rabâchee par les journalistes de tout poils. Ce dernier né aurait dû sortir bien en amont de Sixième sens de manière à avoir une lecture plus claire d'une filmographie fonctionnant en crescendo. Peu ou prou de nouveautés donc dans le portrait d'une famille dont les dernières vacances apparaissent comme le mirage du bonheur avant la rupture définitive. Old et son vieillissement accéléré sur une plage paradisiaque se veut un huis-clos cathartique à ciel ouvert où de la manière la plus "Sartrienne" qui soit, expose son background social avant implosion. Avant de se voir mourir, on côtoie son semblable dans le but de déterminer sa place. La métaphore sociétale est en marche... Afin de transcender cette première lecture d'une monotonie ronronnante mais néanmoins philosophique, Night aurait dû embraser le matériau de passions dévorantes ou de sentiments exacerbés. L'orientation de l'oeuvre est toute autre et le fameux twist final tente de maintenir la baraque du bout de ses sempiternelles références, Hitchcock et Rod Serling en tête. Old est un algorithme "Shamalanyen",certes, mais pas seulement...
Isolés sur une plage, Guy (Gael Garcia Bernal) Prisca (Vicky Krieps), leurs deux enfants et une poignée d'individus sont confrontés aux étranges propriétés de l'endroit.
Old a la saveur de la radicalité. Ce geste égocentrique du Maître d'œuvre qui ferme la porte aux derniers adorateurs a aussi le mérite de rendre limpide les intentions du cinéaste. Toute cette mise en oeuvre sonne comme un retour aux Arts du spectacle. Et le métrage ne peut s'envisager qu'au travers de l'artifice de la scène, miroir de notre réalité. De sa nature propre de film fantastique High concept adapté d'un Graphic Novel Suisse Château de sable, on en oublie sa fonction/volonté de retranscription d'une pièce de Théâtre Live. Scindé en trois actes de tailles inégales, la découverte/la transformation/la résolution enserrés au milieu d'un prologue et d'un épilogue un brin mécanique, Old concentre essentiellement ses forces sur les fameuses règles des trois unités : Temps - Action - Lieu
Unité de Temps
Il avait été établit selon Aristote que cette règle devait compresser l'action durant une révolution de soleil. Toutefois Old dont la narration s'étend sur près de 30 heures se rapproche plus des théoriciens tel Corneille qui admettait écrire des pièces sur une durée supérieure ou égale à 24 h. La poignée d'individus réunie sur la plage traverse une journée et une nuit pleine avant de trouver le lendemain dans la matinée "la faille" au coeur du système. Chaque acte a une temporalité fonctionnant en diminuendo. Les douze premières heures (Temps diégétique assimilé à une heure de film) établissent le cadre, la catharsis et la malédiction. Les douze dernières se déroulant de nuit jouent davantage sur la résultante de l'acte précédent. Selon le principe du huis-clos meurtrier, la résolution de l'énigme comprime son dernier acte sur un geste héroïque éclair autour des deux derniers survivants. La vieillesse accélérée est non seulement une thématique du temps traitée mais elle influe également sur la construction séquentielle du film.
Unité d'action
Old joue sur l'aspect straight de sa narration. Quelques lignes pour évoquées le passé tumultueux de certains protagonistes. Une démonstration ostentatoire des classes sociales (signes extérieurs de richesse) ainsi qu'un acting plus épais à l'image de la direction de Mark Wahlberg et Zoey Deschanel dans Phénomènes. Sur la plage, chaque personnage partage le même destin. Tous les éléments convergent vers une seule ligne directrice en effaçant peu à peu les intrigues secondaires et en laissant place à une violence plus suggérée que frontale.
Unité de Lieu
Contrairement aux usages du théâtre dont le décor choisi représente le genre abordé (maison bourgeoise pour une comédie ou la place d'un village pour un drame) Shyamalan joue la carte de l'opposition : Une plage paradisiaque pour un enfer sur terre. Le décor unique où se déroulera l'entièreté de l'action prend des allures de scène de théâtre. Utilisation du scope au format 2 : 39. Un ratio peu utilisé par le cinéaste mais qui reprend le champ visuel rectangulaire du spectateur. Les perspectives offertes par l'horizon de la mer épouse le cadre à l'arrière-scène et à l'avant-scène, la falaise surplombe "la plage". Sur les côtés de la roche, deux échappatoires assimilées à des coulisses où chaque personnage tente de s'enfuir pour être immédiatement "rejeté" sur le plateau. Les différents angles de caméra fonctionnent à 360° de manière à changer le point de vue du spectateur et à retranscrire les vertus d'un spectacle intimiste. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Le cinéaste n'a jamais été aussi proche de convertir son métier de metteur en scène en celui de scénographe. Pourtant, à l'exception d'un long plan séquence en adéquation avec l'idée de mimer la représentation d'une pièce, on assistera bien à un découpage story-boardé au millimètre avec une jolie science du montage.
À partir d'une note d'intention qui fait la part belle aux Arts du Spectacle, Old se voit aussi associé à la catégorie des Arts pluridisciplinaires. La performance des corps par le filtre du Body Horror continue de jouer sur la note de l'artifice par l'entremise du théâtre du Grand guignol. Un petit plaisir qui ne paie pas de mine filmé du haut d'une falaise par un Shyamalan roublard et volubile en lapin de Lewis Caroll. Un dérapage controlé par l'auteur de Sixième Sens qui aura réussi par ce procédé de superposition de couches de fiction à flouter notre analyse de la Diégèse. Pas mal.
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Créée
le 18 août 2021
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