Sans doute faut-il passer outre le grotesque assumé (la scène mémorable de l'ingestion d'un poulpe vivant) et la violence outrée (l'arrachage de dents au marteau) pour se laisser toucher par l'infinie compassion de "Old Boy" pour un homme détruit par 15 ans de séquestration incompréhensible. Si le film, inspiré d'un manga à la violence exubérante, est indéniablement brutal, le choix de Park Chan-Wook de le pousser vers l'absurde et l'irréel, au risque de l'extravagance (désamorçant ainsi quelque peu l'aspect thriller de son scénario passionnant), permet une lecture politique sur l'état de la société coréenne : on peut en effet regarder ce chef d’œuvre (mineur certes, mais chef d’œuvre quand même...) pour ce qu'il est : un grand film viscéral sur les déviances d'une société coréenne déchirée entre ses pulsions sauvages (incestes, viols, mutilation, humiliations...) et ses aspirations à la sagesse, fut-ce au prix de l'oubli et du sacrifice. Grâce à son intrigue implacable et à une interprétation constamment au top, "Old Boy" dépasse facilement les afféteries de sa mise en scène, et est devenu, envers et contre les opinions tranchées de certains critiques qui n'avaient vu là que de l’esbroufe, un vrai classique. Oui, reconnaissons-le, sous les auspices d'un cinéma populaire, balisé, spectaculaire, Park Chan-Wook distille les indices d'une crise existentielle subtile et profonde... [Critique écrite en 2004 et complétée en 2012]