Une version du grand Lean du roman du pas moins grand Dickens ; on est en droit à s'attendre à du spectacle. Le film profite déjà d'un bon point d'avance : on retrouve les personnages qu'on avait quitté avec regret en tournant la dernière page d'Oliver Twist.
D'ailleurs, ça commence plutôt bien avec un M. Bumble magnifique ; on croirait que Francis Sullivan a été modelé toute sa vie pour ce rôle ; son visage de poupon égoïste nous pousse à adorer le haïr. Concernant le petit Oliver, il s'en sort bien et parvient à figurer parmi les mômes sympathiques du cinéma ; et pourtant, cette catégorie est maigre.
On retrouvera les traits presque fantastiques de Fajin incarné par un Alec Guiness aux allures d'un Raspoutine moins austère mais tout aussi dangereux. On aurait pu le confondre avec des origines de l'Est si on ne s'était pas occupé à lui coller le plus gros pif de toute l'histoire du cinéma. Chapeau, le livre est respecté.
Kay Walshe est délicieuse ; rien à redire. Seul point noir des personnages reste Sikes incarné par un Robert Newton qui n'arrivera pas à perdre sa gueule pour l'avantage du personnage. A ce niveau, même le sporadique Monks s'en sort bien mieux. C'est dommage car Sikes incarnait la pure menace physique. Le personnage était une menace constante qui s'élevait de ses poings au-dessus des bons sentiments des personnages, des magouilles des enfants et des tactiques lugubres de Fagin. Ici, il ressemble plus à un joyeux luron qui finira au meurtre moins pour cause de haine que de verre en trop.
Mais cette tache ne justifie pas que l'on jette une telle toile ! La forme du film peine à suivre la forme du livre (l'ironie mordante dont faisait preuve Dickens se fait très discrète ici) mais on a droit à un grand lot de belles images et de belles idées de mises en scène (à voir simplement la direction des regards pendant certain raccords). Le jeu de lumière contraste aussi ben l'image que la vie d'Oliver. Lean a simplement bien compris le cinéma de son époque et parvient à maîtriser son film avec justesse, jusqu'à la scène de pendaison, ce genre de scène si souvent malmené dans le cinéma d'époque.
Dernier point important sur lequel je juge utile de revenir : les choix qui ont été opéré dans le scénario. Oliver Twist n'est pas une maigre affaire et j'étais curieux de voir le condensé sur 2 heures de toutes les péripéties de cette palette de personnages. Si une première moitié de film respecte scrupuleusement l'ouvrage (avec tout de même une transposition très maligne qui fait gagner à l'histoire un rythme dont le livre pouvait souffrir) la seconde est beaucoup plus autonome. La famille d'adoption d'Oliver ne s'échappe pas des mots de Dickens et merci Lean ; car c'est fou comme comme ils m'avaient plombé le rythme de lecture ! On regrettera peut-être un peu le docteur, mais au fond on s'en fout : on a Mr Brownlow ! Dès lors, les autres ne sont que florilèges. Le film de Lean est d'ailleurs intéressant en ce sens où sa concision lui fait gagner en cohérence : le récit de Dickens joue beaucoup avec quelques hasards inopinés que Lean aura pris soin de nous épargner. Dès lors, nous nous plongeons dans une histoire rythmée où aucun élément scénaristique ou personnages inutile nuit au produit final. Le résultat est un pur plaisir.
Pour finir, je découvre que polanski aura ajouté sa pierre à l'édifice d'un nouvel Oliver Twist paru en 2005. Je finirai sûrement par le regarder par nostalgie à l'univers, mais il sera sans doute moins bien que cette version ; j'en mangerai ma tête !