Le quotidien n’est plus ordinaire quand on sait qu’il prendra fin. Les fragments de banalité deviennent une poésie permanente. « Je l’ai vraiment vécu ce titre » affirme Michel Haas. La mort est annoncée, attendue. Pourtant, on ne pleure pas quand on aime assez la vie pour la quitter poliment.
Narimane Mari filme son époux le peintre Michel Haas. Les moments de vie s’enchaînent, qu’il s’agisse d’instants du quotidien ou de discussions plus intimes. Le vivant devient complice de sa mémoire, laisse son témoignage en plein moment glissant. On a eu la journée, bonsoir n’a pourtant rien de biographique. L’art et l’amour ont promis l’éternité, et on ne sait plus comment penser la fin.
La fin n’est envisageable que dans un déroulé, une trajectoire. Ici, les instants semblent coupés de toute logique : une promenade, un paysage, des ombres… Leur suspension les place hors de toute temporalité. Dans la poésie du quotidien, les voix s’entremêlent, les rencontres défilent mais beaucoup de visages restent absents. L’écran s’abandonne aux mots : des paroles sans bouche pour les illustrer. Les plans sont accompagnés de sous-titres muets qui se lisent comme un roman. L’instant se coupe de l’avenir et n’existe plus que pour lui-même. Puis il ne se passe parfois plus rien, des moments silencieux de confessions poétiques. Vivre, c’est assister à une succession de jours que l’on quitte. Tout ça n’est pas dramatique, et la fête dure. Comment se retirer ? En silence, sans bouquet final, mais tout en faisant de cette fin une promenade poétique, renouvelable par chacun d’entre nous. Puis le jour s’engloutit dans la nuit.
« Ci-gît celui qui vécut sans douter
Que l’aube est bonne à tous les âges
Quand il mourut il pensa naître
Car le soleil recommençait »
– Paul Eluard, Poésie ininterrompue
On a eu la journée, bonsoir est un long poème, la déclaration d’amour d’une réalisatrice à son mari, de Michel à la vie qu’il sait quitter. Dans le parcours de la fin vient s’immiscer un projet futur, celui du film. Le jour ne se lèvera pas pour rendre l’hier éternel.
Site d'origine : Ciné-vrai