Resnais, ce roi de l'artifice
Lors de sa sortie en 1997, "On connaît la chanson" m'a littéralement "enchanté". A l'époque j'avais peu vu de films d'Alain Resnais, à part "Smoking/No Smoking" et "Mon oncle d'Amérique", deux de ces réussites majeures. Je suis toujours en admiration devant la légèreté et l'inventivité de ce grand homme de cinéma, qui n'hésitait pas à explorer tous les genres cinématographiques, ici la comédie musicale romantique chorale. Ce film prouvait, en 1997, qu'il savait se renouveler, explorer, proposer quelque chose de nouveau, de totalement différent dans le paysage cinématographique français. Sous une forme plutôt classique au niveau de la réalisation, il y a toujours une filiation évidente avec la mise en scène théâtrale dans ses films -surtout depuis les années 80-. C'est, certes, moins flagrant que "Smoking" ou "Mélo". Mais comme ces précédents opus, peu de tournage en extérieur au profit du tournage en studio composés de vastes décors (l'appartement autour duquel se noue et se dénoue une grande partie de l'intrigue) dont il ne cherche même pas à cacher le côté toc. On y retrouve, également, son trio fétiche Azéma-Dussollier-Arditi, y fait entrer Lambert Wilson (qu'il retrouvera pour 3 autres films par la suite), ce qui "entérine" le côté "esprit de troupe" comme dans une compagnie théâtrale. J'en conviens, cela peu avoir un côté agaçant et routinier, d'autant que dans le film le jeu de Sabine Azéma - "résiste ! prouve que tu existes...."- et de Pierre Arditi - "je suis venu te dire que je m'en vai" - ne s'éloigne pas trop de leur palette habituelle de jeu, qui donne à leurs deux personnages et à leur couple un côté stéréotypé et artificiel peut-être voulu par le réalisateur lui-même. Ils n'en sont pas moins excellents. Par contre celui qui crève l'écran c'est André Dussollier en doux amoureux transi en mal de reconnaissance. Chacune de ses apparitions surprennent ou provoquent une franche hilarité. Il est tout bonnement génial quand, en se fantasmant garde républicain, il entonne Bashung et sont "Vertige de l'amour" ou encore, lors de la réception finale, il entonne "Ma gueule" de Johnny Hallyday. C'est lui le vrai personnage fil rouge du film. Son césar du meilleur acteur est amplement mérité.
L'autre surprise vient du couple Bacri-Jaoui, aux manettes du scénario et des dialogues comme "Smoking...", qui intègre la "troupe". Ce sera leur unique fois. Malheureusement... Car Bacri s'est écrit un rôle en or, surfant sur les clichés habituels de son éternel personnage bougon, en rajoutant la dimension hautement comique de l'angoisse hypocondriaque -"j'ai la rate qui se dilate..."- et sa complicité avec Dussollier est communicative: "avoir un bon copain...".
Enfin, venons en au fait, la chanson et l'utilité du film. Resnais détourne le concept de comédie musicale en utilisant des morceaux de la vieille chanson française ou de la variété française à succès des 60's, 70's et 80's (de Maurice Chevalier à Téléphone). Le fait que les acteurs chantent mais que l'on entendent le son de la voix de l'interprète d'origine surprend d'abord (lors de la première vision) et a pour but de provoquer un décalage comique. Objectif réussit sur ce point. C'est aussi un moyen pour Resnais de rendre hommage à la musique populaire de variété et de lui rendre la place qui lui revient de droit dans le cœur du public, qu'il soit jeune ou plus âgé. Bien sûr le film paraîtra bien vieilli d'ici 50 ans (il l'est déjà), mais le charme suranné que la scénario de Bacri et Jaoui distille, comme au temps des vieilles comédies "musicales" légères et autres vaudevilles-opérettes des années 30 et 40 où Henri Garat, Fernand Gravey, Albert Préjean et Danielle Darrieux triomphaient, fait son effet. Tout est prétexte, l'histoire n'est pas importante en elle-même, l'écriture est enlevée et travaillée, mais rien ne se prend au sérieux, l'important étant de prendre du plaisir et de passer un bon moment et de rire de bon cœur. Dans ce film tout est artifice, il faut donc se laisser mener par une danse un peu vaudevillesque dans l'esprit et qui sous ses airs de fausse légèreté parle beaucoup du mensonge aux autres, à soi, de nos vils tromperies et erreurs humaines, de la remises en question de nos choix passés, que nous ne sommes complices ou victimes que de nos propres illusions et qu'en en prenant conscience on s'ouvre de nouvelles perspectives, plus "enchantées"...