Cinquième critique : Cinéma bis, faut-il venir de l’Ouest ?

J’ai eu un cours sur le “cinéma bis” lorsque j’étais en licence de cinéma et on m’avait demandé de réaliser un dossier de dix pages sur un film de cette sous-catégorie. Le “cinéma bis”/ le “cinéma de série B”/ le “cinéma de second rayon” est une classification que j’ai eu du mal à comprendre. J’ai appris que cela définissait certaines esthétiques et certains budgets de films; qu’au cinéma était distribué deux tickets : l’un pour voir un film A, l’autre pour voir un film B; qu’Alfred Hitchcock a ou aurait pu être considéré comme un auteur de série B… Là, n’est pas le sujet...
Au moment de choisir le film, j’ai repensé à On l’appelle Trinita ou plutôt Lo Chiamavano Trinità. Je rédige ici un compte-rendu critique sur ce film. NOSTALGIE, J'ÉCRIS TON NOM ! Lisez la partie grisée si vous souhaitez connaître l’anecdote :


Mon père m’avait fait découvrir le duo comique Terence Hill et Bud Spencer quand j’étais petite à travers : Lo Chiamavano Trinità (1970, Enzo Barboni), ...continuavano a chiamarlo Trinità (1971, Enzo Barboni), ...più forte ragazzi! (1972, Giuseppe Colizzi), Io sto con gli ippopotami (1979, Italo Zingarelli), Chi trova un amico trova un tesoro (1981, Sergio Corbucci) et Renegade - Un osso troppo duro (1987, Enzo Barboni). Je trouvais leurs personnages attachants. Ceci explique ma note (10/10).


Puis, en discutant avec mon enseignante et en lisant quelques bouquins, je me suis demandée si le western Italien (considéré comme du cinéma bis) était une sorte de western inspiré du néoréalisme c’est-à-dire qu’il ferait plus authentique/ conforme/ plausible/ vrai que le western Américain. Si ces notions sont compliquées à comprendre, je vous conseille de lire le pavé gris ;)


Le néoréalisme fut un mouvement cinématographique développé en Italie dans les années 1940-1950. Il mettait en scène le quotidien ainsi que des acteurs non-professionnels. Il pouvait y avoir des scènes cruelles et/ou violentes. L’histoire avait lieu dans des paysages authentiques, principalement des rues. L’individu est confronté à son contexte social. Quelques réalisateurs de cette époque : Roberto Rossellini, Vittorio De Sica, Luchino Visconti...
Le western Américain existe depuis 1903. Son âge d’or se produit dans les années 1960. Les films se déroulent en Amérique du Nord, aux Etats-Unis. Ils évoquent un esprit patriotique en mettant en scène des cowboys, des Indiens ou des Mexicains dans des lieux souvent désertiques (des montagnes comme la Monument Valley, Alabama Hills, ou d’autres lieux peuplés de ranchs, saloons, cactus…) lors de la conquête de l’Ouest à la fin du XIXème siècle… Les films sont tournés en décors naturels et/ou en studio. Plusieurs exemples de réalisateurs : John Ford, Sam Peckinpah, John Sturges, David Miller, Martin Ritt, Howard Hawks, Richard Brooks…
Le western Italien est aussi appelé “western spaghetti” (1964-1981) car il ne correspond pas à la zone géographique dans laquelle il a été inventé. Pour info, les westerns Italiens sont essentiellement tournés dans le désert d’Almeria en Espagne car c’est l’une des régions les plus arides d’Europe. De nombreux réalisateurs comme : Sergio Leone, Sergio Corbucci, Mario Bava, Tonino Valerii connaissent le succès en alimentant ce sous-genre où il n’est pas question d’évoquer un esprit patriotique mais un certain réalisme. La religion chrétienne domine en Italie et peut être à l’origine des valeurs éthiques chez les héros des westerns spaghettis. Le format est au 16/9 CinémaScope comme les récents westerns Américains. Les plans ne sont pas “Américains” (en plan rapproché taille) mais plutôt “Italiens” (les plans coupent légèrement les pieds) où l’on n’hésite pas à faire des plans plus larges (contrairement aux Américains qui font des plans plus rapprochés avec de gros plans sur les objets).


Le western Italien est précurseur d’une certaine violence. Il y a une volonté de représenter les corps et la chair. La femme est peu souvent mise à l’honneur dans les westerns spaghettis : tantôt égale à l’homme, tantôt inférieure… Dans une interview de Sergio Leone (https://www.ina.fr/video/CAF97061961/sergio-leone-video.html) celui-ci dit que les femmes n’ont pas leur place dans le western Italien car le western est « un genre propre à la virilité de l’homme ». Dans On l’appelle Trinita, il y a beaucoup d’hommes-enfants et peu de femmes, c’est vrai… Les personnages féminins dans ce film font partie d’une communauté religieuse. Dans le deuxième volet : On continue à l’appeler Trinita, il y a l’intervention d’une autre femme au début du film, la mère des deux personnages principaux, armée, plus badass que les personnages masculins. L’absence des femmes en tant que personnages principaux n’est pas un défaut auprès du grand public. D’ailleurs, On l’appelle Trinita a totalisé 3 104 061 entrées contre 6 087 656 entrées pour sa suite. Le film que nous étudions a été surpassé par le deuxième volet de la saga resté en tête du box-office Italien jusqu’en 1986 ! La violence dans les “westerns spaghettis classiques” ne suffira pas au public… Cela va créer un décalage avec les premiers westerns spaghettis car les sujets sont traités d’une autre façon. Le genre doit se renouveler auprès d’un autre : le burlesque. On l’appelle Trinita se situe donc dans la catégorie du “western fayot” où l’on : “déraille vers la farce”. Il y a toujours une happy end. On y évoque toutes sortes de thèmes : la famille, la religion, l’individualité, l’amour... Ce film a été déclencheur pour le renouveau des westerns spaghettis. Si le grand Sergio Leone a pu se moquer du film (https://histoiresdetournages.devildead.com/index.php?idart=11), cela ne l’a pas empêché de s’en inspirer pour le scénario de Mon nom est Personne (Il mio nome è Nessuno, 1973, réalisé par Tonino Valerii). Ne faut-il pas considérer la différence esthétique comme quelque chose de moderne ? Ce n’est pas parce que l’on ne procède pas de manière classique que le film est considéré comme raté. Un film est considéré comme raté s’il ne rencontre pas son public et/ou que l’attente esthétique est moindre… Ici, ce n’est pas le cas. Le film a su parler au public et l’attirer dans les salles alors c’est un film de second rayon réussi. Il a notamment donné une autre vision du cinéma à des réalisateurs plus classiques.


Pour résumer, Trinita arrive dans une petite ville et retrouve son frère : Bambino, voleur de bétail réputé, assis à la place du shérif. Ils se mettent au service d’une communauté religieuse menacée par des hommes peu fréquentables…


Références aux croyances chrétiennes


Le film fait de nombreuses références à la religion. La “trinita” symbolise, dans la religion chrétienne, l’union de trois personnes distinctes (Père, Fils et Saint-Esprit) ne formant qu’un seul Dieu. Il y a une contradiction puisque le personnage se nomme et est nommé tout au long du film : “La Main Droite du Diable”. Il s’agit ici de celui qui veut faire le bien car il représente l’autorité d’un Dieu, d’une loi morale. Cela peut aussi être compris comme un être qui sort de l’Enfer pour corriger les vivants. Son frère Bambino, est “La Main Gauche du Diable”, cela traduit son côté maladroit qui attire des ennuis. Il prend la place d’un shérif qu’il pense avoir tué… Il y a une sorte de mythologie créée autour de ces deux personnages. Trinita et Bambino incarnent des valeurs de justice malgré le conflit permanent entre frères. On évoque la famille comme source du conflit : une mère prostituée et un père malade, ce qui rappelle les films néoréalistes. On abordera mieux cela dans On continue à l’appeler Trinita.


Références à d’autres films


On ne cesse de compter les références cinématographiques. Commençons par la signification des prénoms choisis. Ces prénoms infantilisent les personnages et les rend plus accessibles au public. Ils sont appelés : “Timide” (interprété par Luciano Rossi) et “Grincheux” (Ezio Marano) en référence au conte de Snow White and the Seven Dwarfs (Blanche Neige et les Sept Nains, créé en 1812 par les frères Grimm et repris en 1937 pour l’adaptation de Walt Disney). Nous pouvons aussi parler du prénom “Bambino” qui évoque le nourrisson, l’enfant. Nous sommes déjà touchés par les personnages lorsque nous les découvrons. L’histoire est généreuse comme un conte. Bambino remplace le shérif car il cherche la paix et la tranquillité. C’est un caractère propre aux cowboys. A la fin, Trinita dit : “En route pour la Californie!” en suivant son frère (alors que celui-ci lui a pourtant dit de ne pas le suivre). C’est assez drôle quand on sait que le film a été tourné en Espagne… Cela montre la volonté du film de s’inscrire comme un genre à part entière à partir de la culture dite “Alpha”. Comme Lucky Luke (comme la bande-dessinée créée en 1946 par Morris et développée en 1957 avec René Goscinny), Trinita part au loin dans le décor jusqu’à ce qu’on ne le voit plus. On a une reprise des lieux typiques du western. On retrouve le désert, les jeux de cartes au saloon, l’épicerie,... Il y a beaucoup de destructions de décors... Dans le générique de début du film, une voix siffle, un homme bâille. Pour traduire l’effet de solitude, Trinita sur son lit-cheval reproduit l’être solitaire.


Ce qui crée le comique


Toutes ces références évoquées plus tôt permettent des situations comiques et permettent aussi de se différencier des westerns Américains. Trinita arrive sale. Il vient de traverser le désert avec son cheval. Dès son arrivée, l’adjoint du shérif s’occupe de sa toilette “Ton frère était presque aussi sale que toi quand il est arrivé de ce désert. [...] Tiens, c’est mon dernier savon.”. Le shérif Bambino est lui-même un gangster recherché. Les bagarres sont faites avec n’importe quoi : revolvers, poêles, bâtons, chaises, coups de poings-marteaux… On l’appelle Trinita a créé un sous-genre : “le western fayot”, dû aux nombreuses scènes de gloutonneries. Les bandits Mexicains sont de joyeux fêtards mais lorsqu’ils croisent les deux héros : Bambino et Trinita (tels Astérix et Obélix créés à partir de 1959 par René Goscinny), ils ne paraissent plus si monstrueux mais ridicules. La religion pratiquée par les Mormons est vue comme un monde dans lequel on ne peut finalement pas se cacher. Ils sont comparés à des moutons. Bambino et Trinita ne sont pas des saints mais agissent en tant que tels pour eux.


La recette d’un bon western : un décor approprié, une bonne histoire, de bons acteurs. Comme quoi, il ne faut pas forcément venir du lointain ouest (“far west”) pour réaliser un western.


Critique rédigée à partir du dossier réalisé pour le cours sur le cinéma bis.
Spéciale dédicace à ma relectrice et correctrice : Little Blue ! Merci ^^


La Salamandre

Créée

le 26 févr. 2021

Critique lue 77 fois

1 j'aime

Critique lue 77 fois

1

D'autres avis sur On l'appelle Trinita

On l'appelle Trinita
LeTigre
8

La naissance d'un nouveau genre de western spaghetti

Avant d'avoir vu cette production, je ne connaissais pas grand chose du western. Il faut dire que les seuls films que j'ai dû voir à ce moment-là étaient des films...

le 7 nov. 2017

11 j'aime

31

On l'appelle Trinita
HITMAN
7

La main droite du diable.

Première collaboration dans un western spaghetti ou western fayot écrit et réalisé par le cinéaste Enzo Barboni (Les anges mangent aussi des fayots, Renegade), connu aussi plus tard sous le...

le 20 août 2018

10 j'aime

On l'appelle Trinita
D-Styx
8

...Et pour quelques baffes de plus

Classique parmi les classiques, On l’appelle Trinita entre dès sa sortie au panthéon des comédies italiennes et des westerns spaghetti (le film se classe 10e au sondage SC). Il s’agit du buddy movie...

le 12 févr. 2025

8 j'aime

1

Du même critique

À 2 heures de Paris
LaSalamandreFilme
7

Sauvegarde d'un post Twitter

A 2 heures de Paris (2018) de Virginie Verrier est un road-movie français qui a du style. Sidonie (Erika Sainte) et sa fille de 15 ans (Matilda Marty-Giraut) sont à la recherche du père de...

le 18 avr. 2021

1 j'aime

A Ghost Story
LaSalamandreFilme
7

Sauvegarde d'un post Twitter

Si le cycle infini de la vie vous fait peur, c’est que vous n’avez pas fait encore assez de choses. Ne restez pas passif. A Ghost Story (2017, David Lowery) vous rendra la vue ! Bonne année ! La...

le 1 janv. 2021

1 j'aime

The Book of Henry
LaSalamandreFilme
7

Sauvegarde d'un post Twitter

The Book of Henry (2017) de Colin Trevorrow nous interroge sur l’impact du décès d’Henry, 11 ans. Sa mère (alias Naomi Watts) doit faire face à la disparition de son enfant surdoué et pilier de la...

le 27 déc. 2020

1 j'aime