Il y a quelque chose de pourri au Royaume du simulacre. Hollywood a perdu de sa superbe. Et dans son sillage Rick Dalton (Di Caprio), prince déchu du petit écran qui tente coûte que coûte de renouer avec un succès qui le fuit malgré le soutien indéfectible de Cliff Booth (Brad Pitt), doublure cascade reconverti en homme à tout faire au service de ce dernier.
Le titre du 9e film de Tarantino annoncerait une fin prévisible – conforme au schéma de Propp, grand théoricien du conte – s’il n’était du caractère facétieux du réalisateur de Pulp fiction et de sa propension à mener le spectateur en bateau.
Car si Rick (Héros) et Cliff (Auxiliaire) partent bien en quête de nouveaux terrains de jeu – le western spaghetti – sur les conseils d’un directeur de casting avisé (Al Pacino/Mandateur) tout en rêvant de croiser le chemin du couple glamour que forment Polanski et Sharon Tate (Margot Robbie/Princesse), le conte fait du sur-place : Dalton finira en acteur raté et mégalo et Cliff en casse-cou altruiste dévoué corps et âme à son ami.
Le sur-place se veut également géographique dans OUATIH. Les protagonistes passent certes une bonne partie du film dans un bolide clinquant, rutilant ou pétaradant dans la cité des anges, mais ce road trip d’apparence sillonne davantage les genres cinématographiques (film sur Hollywood, western, biopic, bromance, gore, etc.) que les lieux, et croise davantage les regards (Dalton, Booth, Tate) que les époques.
Les féministes les plus radicales pourront s’insurger du traitement de la femme parfois réifiée à travers le fétichisme de Tarantino, le mutisme de son actrice principale (Margot Robbie solaire, radieuse), ou ses raccourcis hippies. Peu importe, l’essentiel est ailleurs, dans le rôle de l’art et de son rapport au réel.
Il y aurait beaucoup à dire sur l’intertextualité littéraire ou picturale dans ce méli-mélo tarantinesque. Andy Warhol n’aurait du reste pas renié cette scène finale où sa Soupe Campbell, incarnation de la médiocrité américaine et transformée pour l’occasion en conserve pour chien, sauve la vie de nos héros en même temps qu’il sauvera Sharon Tate d’un destin funeste.
Tarantino, tel un enfant nostalgique dans une mise en abyme psychiatrique et révisionniste, réécrit le cinéma des années 60. La figure narcissique d’un Rick Dalton, pale copie de Burt Reynolds ou de Steve Mc Queen, fantasme sa filmographie (La Grande Évasion) encore plus que son existence. Les drames de cette carte postale californienne ne font qu’affleurer, tenus à distance par cette idéalisation pop et acidulée du Los Angeles des swinging sixties. Dans la vision artistique de Tarantino, Sharon Tate n’est pas assassinée sauvagement par la Manson family. Elle n’est qu’une icône intouchable et insaisissable, statufiée, érigée en œuvre d’art, pas tout à fait elle, ni tout à fait une autre (l’ouvreuse du cinéma ne semble par reconnaître Sharon Tate/Margot Robbie lorsque celle-ci souhaite voir le film dans lequel elle joue).
Et c’est précisément cette altérité qui l’empêchera d’être sauvagement assassinée au cours de cette nuit du 9 août 1969.
"Art is what you can get away with", martelait le pape du pop art. L’art triomphe de tout. Et même d’un peu plus quand il s’appelle Tarantino.