Only God Forgives: une histoire de Sabres et de taille landaise.*
[SPOILER ALERT]
Comme beaucoup, je l'ai longtemps attendu, et non sans impatience, ce Only God Forgives. L'une de mes plus grosses attentes d'année post-fin du monde, c'est dire. Refn m'avait scotché avec son Drive, mais aussi, dans une moindre mesure, avec Bronson, et son Tom Hardy survolté. Ou encore Valhalla Rising, sorte de trip hypnotique et contemplatif sublimé par Mads Mikkelsen. Et bien force est de constater que le dernier Refn en date à l'heure où je vous écris ces lignes, se rapproche plus, visuellement et de part certaines techniques et quelques aspects, de l'histoire de One-Eye.
THE DEEP RED
Sous cette référence à peine subtile à Argento, un dénominateur commun: le rouge, omniprésent. Pas que cela me dérange lorsqu'un auteur décide de donner un cachet, une identité à son oeuvre grâce à une utilisation subtile des couleurs, et au soin apporté à la photographie. Mais j'ai par moments été gêné par ce côté "suresthétisé" de l'ensemble. Alors certes le film est maîtrisé sur le plan technique, souvent extrêmement beau, mais ce qui était l'une des forces de Drive et son bleu, devient par moments une faiblesse ici par excès de carmin. Reste que dans l'ensemble, le film arrache la rétine, je vais donc arrêter de faire la fine bouche sur ce plan là, et me remémorer toute sa saveur.
Mais sous ce titre de paragraphe se cache aussi, par un jeu de mots phonétique du plus mauvais acabit je vous l'accorde, l'un des thèmes centraux du film: Oedipe. Une relation malsaine entre une mère et ses enfants, dont l'un des deux va mourir après avoir commis un acte atroce. Elle souhaitera ensuite que son plus jeune venge son frère, sombre histoire en perspective. Ajoutez à cela de la violence, bien crue par moments, et une bande son très réussie, signée Cliff Martinez. Ambiance musicale qui colle parfaitement à l'environnement malsain et poisseux de la ville de Bangkok dépeinte dans OGF. Bienvenue chez Nicolas Winding Refn !
BRUISE KRISTIN
C'est plat, c'est beau ! Plat car l'une des seules attractions du film sera Scott Thomas incarnant une sorte de cougar qui asphyxie totalement son rejeton (d'aucuns la nommeront "la castratrice fauve", mais après tout, là où il y a de l'Eugène, il n'y a pas de plaisir...). Une étrange relation les lie, et Refn nous fait clairement comprendre que celle-ci s'étend bien au-delà d'une simple entente mère-fils. Cela dit, j'ai trouvé l'actrice particulièrement mal fagotée et vulgaire, ok, le rôle, tout ça, mais quand même, elle dénote totalement avec le reste du casting, mais aussi avec la mise en scène si travaillée et élégante de NWR. C'est beau !
Et puis la Kristin, je ne l'ai pas trouvée tout le temps juste dans son jeu. Reste que Vithaya Pansringarm constitue la bonne surprise du film, personnage mystérieux, justicier à l'arme blanche, si tant est que sa violence puisse être justifiée. Le Chang du cygne pour tous ceux qui croisent son chemin. Et Gosling qui nous refait le personnage muet de Drive. Remarquez, il nous épargne cette fois-ci son blouson ringard, qu'il aura troqué pour un gilet, qu'il porte fort bien d'ailleurs, c'est déjà ça !
Cette affaire de complexe d'Oedipe sera à peu près la seule certitude que l'on aura tout au long du film, tant les indices quant à son déroulement sont peu nombreux et/ou difficilement décryptables. Autant cela ne me dérange pas de temps à autre de m'abandonner à une oeuvre contemplative, dans laquelle on n'est pas pris par la main du début à la fin, autant là, Refn nous gratifie d'une succession de scènes parfois sans aucun liant, souvent abstraites, rêvées pourrait-on croire, et ce ne sont pas les 3 lignes de dialogues qui aiguilleront le spectateur. Pour couronner le tout, les plans sont looongs, parfois très looongs. A la fin du film je me demandais combien de scènes différentes j'avais vues, et me surprenais à vouloir les compter sur les doigts de la main, tant j'avais l'impression d'en avoir vu peu. Et pourtant, ce sentiment d'avoir assisté à un long métrage de 2h30.
Attention Nico, lorsque trop de plans s'étirent, le public se tire ! Je l'ai d'ailleurs vécu, plusieurs personnes quittant la salle durant la projection.
ONLY GORE FORGIVES
Sans compter les soupirs que nous avons pu entendre, ma moitié et moi, pendant quelques scènes bien spécifiques. Sans doute ceux-ci étaient-ils la conséquence de cette énorme débauche de violence. Car même en étant habitué aux films du danois, certaines séquences choquent, et j'ai d'ailleurs trouvé que pour le coup, montrer chaque mutilation n'était pas forcément nécessaire. Je pense notamment au plan durant lequel on voit le corps sans vie du frère de Julian, la tête écrasée après les assauts de son tueur: la séquence précédente, montrant l'homme se déchaîner sur Billy à travers une porte vitrée depuis le couloir, est déjà particulièrement suggestive. A mon sens, elle est extrêmement bien faite, et se suffisait à elle-même. La scène de torture est elle aussi particulièrement éprouvante, même si on arrive plus facilement à la justifier.
Au final, ce Only God Forgives est une énorme démonstration de savoir faire technique, et je tire mon chapeau à Refn, pour avoir réussi à créer un tel visuel avec un budget aussi serré (moins de 5 millions de dollars selon IMDB !). Mais l'oeuvre est tellement personnelle, abstraite, lyrique, violente et lente à la fois, qu'elle laissera nombre de spectateurs sur le bord de la route.
Ce fut plus ou moins mon cas, même si j'y ai quand même pris un certain plaisir. La scène du combat entre Julian et Chang, somptueuse, aura bien aidé. Et puis voir Gosling se prendre des pains (des Landes) par un senior qui a infiniment plus de charisme que lui, ça n'a pas de prix !
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*Sabres: petite commune située en région Aquitaine, dans le département des Landes.