Au nom de la mère, du vice et de l'aguerri.
Ce film laisse sur une impression étrange, mêlée de déception et d’incompréhension. Une fin qui arrive trop brusquement, des personnages extrêmement énigmatiques, une ambiance malsaine et hallucinée. Et pourtant, c’est un film qui interroge, ne laisse pas indifférent et qui est, contrairement à ce que beaucoup affirment, profond et intelligent.
Depuis que je l'ai vu, je n'arrête pas d'y penser. Et ça, c'est très bon signe. Ces longs couloirs obscurs et rouges. Cette Thaïlande mystique et fantasmée. Ces thèmes, ces personnages dingos, cette putain de musique. Refn, tu as bien réussi ton coup. Même Drive ne m'a pas tourmentée comme ça. Ce film est ensorcelant. Voilà, c'est dit.
CRITIQUE BOURRÉE DE SPOILERS
Qu'est-ce qu'Only God Forgives ?
Un mélange d'Oedipe, de Lynch, de Macbeth et de rêve. Donc un film de taré.
Comme dans Drive, l’ambiance est absolument incroyable. Le rouge domine la sublime photographie de Larry Smith, créant une atmosphère proche de l'enfer dantesque et sonnant comme une promesse du sang versé tout au long du film, les personnages étant tous animés par la vengeance. Mais le bleu - couleur souvent associée au songe - se mêle aussi au rouge. Le film a une atmosphère onirique, très proche de David Lynch. La réalité est au début du film pénétrée par les rêves violents de Julian. Et si tout le film n’était qu’un vaste songe ? La fin pourrait le laisser penser. En effet, le film se termine par une chanson du flic qui évoque une de ses rêveries. Indice du cinéaste ? Pure coïncidence ? Toute l’histoire est très peu crédible, d’une violence rare, imbibée de l’impuissance du « héros » principal. On pourrait donc tout à fait être dans un rêve du début à la fin, un rêve où toutes les pulsions de violence et les fantasmes du personnage se trouvent libérés. En tout cas, la musique et la photographie sont tout simplement jouissives. On a l’impression de vivre un rêve pendant une 1H30. Impression renforcée par la longueur de certaines scènes et par l'atmosphère nocturne.
Tout le monde s’accorde à dire que Only God forgives est très réussi esthétiquement parlant mais que le fond est débile/incompréhensible/chiant et j’en passe. C’est vrai qu’entre Drive et celui là, on ne peut pas dire qu’on ait à faire avec des scénari de génie. L’histoire de OGF est extrêmement classique mais la mise en scène originale et incroyablement belle transcende cela. Certains trouveront OGF prétentieux. Le film a été hué à Cannes (de toute façon, de nos jours, on hue Malick, alors…. !). Mais non, j’ai trouvé le fond assez intéressant. C’est bourré de références mythologiques, voire même psychanalytiques. Cette famille, ce sont les Atrides, rien que ça. Une famille où règne l’inceste - la première scène entre le fils et sa mère laisse clairement à penser qu’il y a eu inceste ou qu’elle est en tout cas désirée, il n’y a qu’à voir la position de la mère par rapport à son fils…je ne vous fais pas un dessin -, le parricide et autres petits meurtres. La mère est une créature sortie tout droit des enfers, mélange d’américaine peroxydée ô combien vulgaire et de Lady Macbeth meurtrière et perverse. La relation entre le fils et sa mère est assez bizarre. Ils s’aiment, se détestent. Elle le laisse se faire tabasser par ce flic thaïlandais. Puis lui demande de la protéger. Quand Julian plonge sa main dans le ventre de sa mère, dans une scène particulièrement dérangeante, il y cherche son « origine », un lieu où il aimerait se recroqueviller, peut être. Nostalgie de la matrice maternelle, complexe d’Œdipe flagrant pendant 1H30, c'est ça, God only forgives. (et il y a un type qui se fait crever les yeux, TOUT LE FILM PARLE D'OEDIPE BON SANG!!!!)
C’est aussi un film sur l’impuissance masculine. Finalement, Julian est une victime perpétuelle des évènements. Refn insiste énormément sur les mains de son personnages : mains baignées de sang (nouveau rappel de Macbeth?), mains coupées, mains liées. Il serre désespérément les poings, espérant pouvoir enfin devenir un homme. Il est aussi tout à fait impuissant sexuellement parlant. Cette idée semble hanter le cinéaste danois : c'était déjà le cas dans Drive où on restait au niveau d'un romantisme naif, où l'amour n'était pas consommé. Dans ces deux films, excitation il y a, mais jamais jouissance, si n'est par la violence. Refn s’amuse à jouer avec l’icône Gosling, puisque celui-ci se fait littéralement détruire le visage par le flic thaïlandais. Il n’a donc plus rien du sex symbol d'antan. On est très loin du preux chevalier de Drive, si ce n’est que le mutisme est le dénominateur commun des deux personnages. Mais bon, il a quand même de la compassion pour la fille de Chang qu'il épargne. Après le combat, il tombe les bras en croix et quelques minutes plus tard se retrouve assis dans le noir face à sa mère, le visage tuméfié et couvert de sang, il prend alors carrément des allures christiques. Paradoxes qui relèvent encore du rêve....!
Le scénario a des allures classiques voire banales mais brasse des thèmes intéressants si on se penche un minimum sur les symboles véhiculés par le film. C’est long et contemplatif et surtout, on parle très peu là dedans. Le seul moyen d’expression des personnages est la violence. Mais ce qui est le plus intéressant dans Only God forgives est probablement le personnage du justicier vengeur et ultra violent, Chang. Véritable ange de la mort, il sort son sabre comme la faucheuse brandit sa faux : de dos, on ne voit même pas qu’il porte un sabre sur lui. Tout le film est hanté par des plans sur ce fameux sabre, comme en apesanteur, avec une musique bien angoissante (signe encore une fois qu’on se trouve bel et bien dans un rêve ?). Toujours habillé de noir, le visage impassible, Chang tue sans vergogne. Il symbolise à la fois la mort et une espèce de divinité. C’est peut être lui, le dieu évoqué par le titre du film. C'est surtout lui qui incarne la loi morale même si les punitions qu'il inflige sont ma foi un peu radicales. Ce personnage qui fait froid dans le dos est tourné en dérision de manière particulièrement originale par Refn puisqu’il le fait chanter dans un karaoké atrocement kitsch. Et des chansons cul cul la praline, s’il vous plaît. Cette façon de prendre à contre pied le type le plus flippant de l'histoire est vraiment jouissive. Chang est une créature issue d’un rêve, et peut-être aussi un père de substitution que Julian cherche à tuer (complexe d’Œdipe forever). L’acteur, totalement inconnu est tout à fait fascinant et signe la performance la plus intrigante du film.
Soyons honnêtes : Only God forgives n’est pas le chef d’œuvre qu’on attendait tous. Il manque un petit quelque chose pour en faire un grand film. Néanmoins, la mise en scène est de toute beauté et Refn sait distiller du mystère, intriguer son spectateur. Il y a quelques scènes de génie : les rêves/cauchemars de Julian et le combat tant attendu entre les deux héros.
En tout cas, je reste sur ma théorie. Ce film est un rêve de A à Z. Un rêve où le frère, tant jalousé, serait enfin mort et où Julian pourrait s’accaparer sa mère. Mais comme dans tous les rêves, le héros se retrouve renvoyé à ses propres incapacités et confronté à une violence terrible incarnée par Chang. Cela m'a semblé aussi bizarre, angoissant, long et étouffant qu'un songe.