Ce n'est pas avec Only God Forgives que Nicolas Winding Refn trahira sa réputation. Véritable génie visuel, ce réalisateur a surtout une foi inébranlable dans le média qu'il exploite et n'a ainsi jamais oublié, contrairement à tant d'autres cinéastes, que le cinéma est une science de l'image avant d'être celle des mots. Sa nouvelle œuvre expérimente ainsi de manière beaucoup plus assumée les éléments qui firent la gloire de Drive avec une narration minimaliste s'effaçant au profit d'une mise en scène brillante où les plans et le regard des acteurs en disent plus long que des dialogues. Le cadre de Bangkok offre de surcroît au cinéaste un lieu propice à la stylisation extrême de ses images où chaque scène sublimée est une nouvelle pierre dans l’édifice d'un univers hypnotisant. Et enfin au centre de ce foisonnement visuel se dressent les protagonistes dont l'iconisation est si réussie qu'elle ridiculiserait tous les films de super héros existants.
Mais pourtant en dépit de ses similitudes, il est inutile de se mentir, Only God Forgives n'obtiendra jamais le triomphe unanime de Drive. En premier lieu car il s'agit bien évidemment d'un film beaucoup moins grand public où la luminosité de Los Angeles laisse place au cadre misérable et austère de Bangkok dans lequel la violence ne se contente pas de choquer mais dérange. Enfin parce que si Ryan Gosling incarne à nouveau un individu canalisant tant bien que mal sa colère, il ne s'agit pas cette fois ci d'un héros charismatique dominant son environnement mais d'un être fragilisé et meurtri dont l'espoir vain de retrouver une humanité perdue constitue la plus grande faiblesse. Mais au delà de ces changements beaucoup plus cohérents avec la filmographie de Refn (rappelons que Drive était une commande) , Only God Forgives dégage également un besoin de reconnaissance artistique et d'expérimentation qui divisera à nouveau.
Encore plus contemplatif que son prédécesseur, ce nouveau film marque la confiance totale de Refn dans son talent de metteur en scène après les éloges de Drive mais cette assurance palpable conduit également le film vers l’excès où la frontière entre héros stylisé et poseur se veut plus mince. L'expérimentation visuelle s'applique également à la focalisation sur le chaos mental et la folie silencieuse des protagonistes véhiculant parfois une atmosphère déstabilisante et surréaliste que n'aurait pas renié David Lynch. Même si cela semble étrange à lire, Drive était ainsi un film beaucoup plus dans la retenue qu'Only God Forgives qui gagne en ambition et en générosité ce qu'il perd en accessibilité et en équilibre. Pourtant il est finalement inutile de se focaliser sur ses critiques au regard du véritable impact émotionnel suscité par cette œuvre. Aussi hypnotique qu'éprouvant, faisant ressentir viscéralement les émotions de ses protagonistes, Only God Forgives est l'un des films qu'il faut vivre au cinéma pour ressentir pleinement cette atmosphère irréelle où pendant l'espace d'1h30, le spectateur est enfermé dans une expérience sensorielle hors normes. Et c'est bien là au bout du compte la finalité du cinéma. Juste estomaquant.