« C’est pas bien de partir sans dire un mot »

Kevin Costner sait croquer le portrait d’une communauté marginale au contact d’une autre communauté majoritaire dont il montre les excès et les failles : les quatre éleveurs itinérants, déclinaison offerte au mythe du cowboy, incarnent l’esprit pionnier par leur refus de s’attacher à une terre et par leur volonté de reconduire sans cesse leur voyage qui équivaut à la découverte et au domptage d’un espace jusqu’alors étranger ; ils révèlent, par contraste, l’abus de pouvoir et le règne de la peur inhérents à l’installation terrienne des colons. Il n’est pas anodin qu’au début du film, Boss Spearman soit qualifié de « vrai cowboy » lorsqu’il ramène avec lui plusieurs chevaux sauvages, allégorie de cet art de vivre incompatible avec l’enracinement. Le cinéma de Costner a toujours interrogé la tension gouvernant la relation entre l’établissement (d’une famille, d’une ville, d’une société) et le mouvement nécessaire à l’exercice de la liberté ; à ce titre, son précédent long métrage représentait un vagabond sous les traits d’un facteur (The Postman, 1997).

L’originalité d’Open Range tient alors au passage progressif de la condition précaire d’éleveur itinérant depuis le terrain de la concrétude d’un métier vers celui de la parole : la caractérisation taiseuse et bourrue des protagonistes se heurte au déliement des langues et des cœurs suivant l’adage qu’il vaut mieux « dire les choses plutôt que de les enfouir », dixit Sue Barlow. C’est tout une imagerie stéréotypée qui vole aussitôt en éclats, déjouant nos attentes de spectateurs connaisseurs des codes du western : l’épouse du docteur est en réalité sa sœur, le jeune Hispanique que l’on considérait comme mort revient à la vie, le mentor âgé, gardien d’une tradition, rêve d’ouvrir son propre saloon… La parole libère autant qu’un mode de vie nomade incapable, seul, de lutter contre ses démons intérieurs ; elle mène paradoxalement à « savoir bien regarder » par la synesthésie de deux sens, la vue et l’ouïe. Au service d’un éloge de la civilité, leçon moraliste incarnée et prêchée par Sperman. Un très beau film, magnifiquement photographié et interprété.

Créée

il y a 4 jours

Critique lue 8 fois

3 j'aime

Critique lue 8 fois

3

D'autres avis sur Open Range

Open Range
Docteur_Jivago
8

Mélancolie crépusculaire

Pour cette troisième réalisation après le brillant "Danse avec les loups" et "Postman", Kevin Costner retrouve son genre de prédilection à savoir le western. Il met en scène un groupe de quatre...

le 17 déc. 2014

40 j'aime

12

Open Range
SanFelice
7

Cowboys solidaires

Il a dû falloir une certaine dose de courage à Costner pour imposer un tel film à Hollywood. En effet, depuis une trentaine d'années, les westerns ne sont plus en odeur de sainteté dans le cinéma...

le 20 nov. 2012

27 j'aime

17

Open Range
Lazein
5

Ô Range ! Ô Désespoir !

Dis-donc Kevin ! Tu crois que personne ne t'a vu pomper impunément "Unforgiven" de Clint ?! Cette histoire de deux cow-boys rangés des embrouilles qui mettent une ville à feu et à sang pour venger...

le 15 avr. 2014

23 j'aime

12

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

89 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

78 j'aime

14