Kevin Costner sait croquer le portrait d’une communauté marginale au contact d’une autre communauté majoritaire dont il montre les excès et les failles : les quatre éleveurs itinérants, déclinaison offerte au mythe du cowboy, incarnent l’esprit pionnier par leur refus de s’attacher à une terre et par leur volonté de reconduire sans cesse leur voyage qui équivaut à la découverte et au domptage d’un espace jusqu’alors étranger ; ils révèlent, par contraste, l’abus de pouvoir et le règne de la peur inhérents à l’installation terrienne des colons. Il n’est pas anodin qu’au début du film, Boss Spearman soit qualifié de « vrai cowboy » lorsqu’il ramène avec lui plusieurs chevaux sauvages, allégorie de cet art de vivre incompatible avec l’enracinement. Le cinéma de Costner a toujours interrogé la tension gouvernant la relation entre l’établissement (d’une famille, d’une ville, d’une société) et le mouvement nécessaire à l’exercice de la liberté ; à ce titre, son précédent long métrage représentait un vagabond sous les traits d’un facteur (The Postman, 1997).
L’originalité d’Open Range tient alors au passage progressif de la condition précaire d’éleveur itinérant depuis le terrain de la concrétude d’un métier vers celui de la parole : la caractérisation taiseuse et bourrue des protagonistes se heurte au déliement des langues et des cœurs suivant l’adage qu’il vaut mieux « dire les choses plutôt que de les enfouir », dixit Sue Barlow. C’est tout une imagerie stéréotypée qui vole aussitôt en éclats, déjouant nos attentes de spectateurs connaisseurs des codes du western : l’épouse du docteur est en réalité sa sœur, le jeune Hispanique que l’on considérait comme mort revient à la vie, le mentor âgé, gardien d’une tradition, rêve d’ouvrir son propre saloon… La parole libère autant qu’un mode de vie nomade incapable, seul, de lutter contre ses démons intérieurs ; elle mène paradoxalement à « savoir bien regarder » par la synesthésie de deux sens, la vue et l’ouïe. Au service d’un éloge de la civilité, leçon moraliste incarnée et prêchée par Sperman. Un très beau film, magnifiquement photographié et interprété.