Opening Night est autant l'odyssée d'une actrice qui doute que d'une auteur de théâtre sure de soi. C'est présent en arrière plan, mais le personnage magnifique et en même temps consternant de Sara, l'auteure de la pièce que Myrtle ne comprend pas, est un des plus grands intérêts de l'histoire que Cassavetes cherche à nous raconter. Ce que joue Myrtle, c'est une pièce pénible et médiocre, sérieuse et bêtement tragique - qui parle de la vieillesse sans la questionner, qui parle de la passion sans folie ; alors que ce que Myrtle a en elle, ce n'est que de la jeunesse, que du feu qui ne cesse de brûler. C'est comme si Cassavetes questionnait son métier d'auteur, dont le profond génie l'a toujours poussé, lui, à justement faire vriller ces petits théâtres fatalement agencés. Cela donne une première partie massive où Cassavetes prend pour la première fois le pari de la fouille psychologique de son personnage au lieu d'en épouser vraiment la somptueuse folie. Mais de scène en scène, on comprend vraiment où se dirige Opening Night, jusqu'à une dernière séquence sublime. Cassavetes est le grand cinéaste de la démence (parce que sa démence n'est jamais que celle de son héroïne, c'est aussi celle du film) et plus le film avance, plus il devient beau et digne, jusqu'à ce final bouleversant où, après le plan le plus long du monde où Myrtle, complètement ivre, ne cesse de tomber jusqu'à l'entrée de la scène, Cassavetes lui offre (et s'offre) un triomphe. Il y a quelque chose de vraiment sublime à voir le couple redevenir Gena Rowlands et John Cassavetes, improviser, se marrer, se raconter des blagues, se battre et s'attraper la jambe, en parfaite roue libre devant une audience où la caméra nous place ; au mépris de toutes les directives du metteur en scène et des dialogues médiocres et surfaits de Sara. Le cinéma, comme le théâtre, ça doit surgir, ça vient de là, du spectacle, de la surprise, de la sensation forte, des tripes. Le cinéma ça nous relève quand on est ivre morte. On joue pour ne pas vomir, et puis on tombe dans la coulisse. Ce film commence dans le sang rouge et se finit sur un éclat de rire. Et le léger rictus sur le visage de l'auteure qui comprend enfin la liberté et la jeunesse des actrices est comme un cadeau.