C'est en 1973 que le public occidental un peu lassé des "westerns spaghetti", découvre interloqué les "karaté-soja", mais ceux-ci étaient fabriqués en série par l'industrie de Run Run Shaw dans de gigantesques studios de Hong Kong, sans nuances et sans trop de saveur ; le genre aurait sombré dans une lassitude encore plus grande si les Américains n'avaient pas mis le nez là-dedans. Le phénomène Bruce Lee ayant eu un écho aux Etats-Unis, la Warner Bros est la première à réagir en envoyant à Hong Kong ses techniciens afin de battre sur son propre terrain l'honorable Shaw. C'est ainsi qu'est né Opération Dragon, première coproduction intelligente entre le savoir-faire des Américains et celui des frères Chow de Hong Kong ; le film reste de loin le meilleur de tous les films karaté et se démarque nettement des produits de série qui envahissent les écrans au début des années 70.
La production a des moyens et ça se voit, elle peut s'offrir Bruce Lee, qui a la charge de régler aussi les scènes de combats, il est épaulé par un casting international, dont 2 Américains (John Saxon, beau gosse un peu frimeur des 70's, et Jim Kelly, champion noir d'arts martiaux dont c'est le premier film), sans oublier Bob Wall déjà vu dans la Fureur du Dragon, le réalisateur Robert Clouse est un spécialiste de l'action, le choix très sûr des décors (la salle-musée aux objets de tortures, l'environnement de l'île fortifiée de Han), le soin apporté à la mise en scène, le format Cinémascope, la musique aux tonalités sino-américaines de Lalo Schifrin, l'homogénéité de l'interprétation, le méchant juste ignoble et mielleux comme il faut, la qualité des trucages, celle des combats, certaines scènes intermédiaires et l'humour... bref tout ceci fait de ce film violent un spectacle rythmé qui ne faiblit jamais.
Opération Dragon allie l'attrait des films chinois au savoir-faire des techniciens américains car le réalisateur a gardé ce qu'il y avait de meilleur dans les productions asiatiques en les débarrassant d'un manichéisme parfois pénible ; l'intrigue n'est qu'accessoire en se contentant de relater un trafic d'opium et de traite des blanches, c'est juste l'alibi pour permettre à Bruce Lee de déployer toute son ardeur et sa science technique des arts martiaux, le Petit Dragon y est au sommet de son art, même s'il meurt un mois après la fin du tournage, ne pouvant voir le montage définitif... mais le film est culte, il a achevé de faire plonger Bruce Lee dans la légende, et moi je le revois toujours sans lassitude, avec une certaine amertume en me disant que s'il avait vécu plus longtemps, il aurait pu en faire plusieurs autres de cette trempe.