Comme pour le Casino Royale du diptyque Pussycat, je mettrai un 5 mitigé, un de mes 5 baccarat sur ce film.
Sorti une semaine après Casino Royale, Opération cadet semble vouloir lui répondre, ne serait-ce que parce qu'il confirme que Sean Connery est cet acteur libidineux qui aurait repris le nom et le matricule du véritable James Bond.
Loin d'être désagréable, le film peut perdre le spectateur dans le plaisir comme dans l'indigestion.
J'userai, pour faire valoir mon point de vue, d'une métaphore foraine.
Qui ne connaît pas ces labyrinthes de vitres transparentes donnant lieu à un enchevêtrement de mur et d'huis qui, très vite, se confondent? Cet enchevêtrement, c'est le quatrième mur problématique d'Opération frère cadet qui semble toujours hésiter entre pastiche et parodie, sans parvenir à se décider. Or, de même que certains adorent se perdre dans les labyrinthes forains et que d'autres abhorrent ce genre d'attraction, on aimera ou l'on détestera Opération frère cadet à sa guise.
Tout le problème du film réside dans sa visée: imitation? Raillerie? Ou Fan-service?
Car Alberto de Martino, réalisateur bien connu de plusieurs nanars dont L'Homme puma, livre ici un pastiche qui hésite à copier et une parodie qui hésite à rire de son modèle.
D'où l'incapacité pour son spectateur à se placer devant le film.
Un pastiche qui hésite à copier
Osons le dire, sur bien des éléments, Opération frère cadet s'attache à imiter les vrai James Bond d'EON. Sorti la même année qu'On ne vit que deux fois, il copie davantage le dernier opus sorti, Opération tonnerre dont il reprend une partie du casting.
On retrouve donc une organisation dans le type du SPECTRE qui menace la planète au moyen d'une invention digne de celle de Largo. Cette imitation se trouve dans les grandes comme les petites lignes, car il est également possible d'identifier les étapes d'un schéma narratif commun à Opération tonnerre et Opération frère cadet: la scène de rencontre entre les membres de l'organisation avec élimination et exposition du projet, la scène de rencontre et de défi entre le héros et son ennemi, l'abordage du vaisseau du méchant, le duel final à bord, pour ne citer que ces exemples.
Là où le film décide finalement d'échapper à sa propre entreprise d'imitation, c'est dans le choix du thème central de la psychiatrie. En effet, le héros est lui-même un adepte de la psychanalyse et de l'hypnose dont il use non sans un excès perturbant tant dans sa récurrence que dans le choix de ses cibles (pauvre M!). Mais de surcroît, l'organisation ennemie donne elle-même dans l'autopsie spirituelle, ayant choisi le nom de Thanatos, nom du semi-dieu frère opposé d'Eros. Eros et Thanatos désignent, en psychologie comme en mythologie, les pulsions de vie et de mort. C'est bien une pulsion de mort qui est à diagnostiquer chez les antagonistes dans ce film, puisqu'ils en viennent par moment à s'entre-tuer.
Une parodie qui hésite à rire de son modèle
... ou à faire rire, tout simplement!
L'invraisemblance et l'exagération de certaines scène sont évidemment à comprendre comme des effets comiques. A l'instar du Dr Connery, sachons les diagnostiquer: le défi au chemin de fer devient un duel au tir à l'arc, une conférence se change en véritable champs de bataille suite à un happening de prétendus journalistes, les huiles du service viennent empêcher les amours du héros à chaque fois qu'elles tentent de naître, par exemple. Pour autant qu'on sache les identifier, ces effets de comique prêtent assez peu à rire, souvent parce qu'un sous-texte plus sérieux met le rire attendu à distance. Les journalistes qui font irruption dans la conférence du Dr Connery sont en réalité des agents de Thanatos venus donner le change tandis qu'on tente d'enlever le cobaye. L'éloignement du Docteur des occasions amoureuses le préserve de traquenards mortels. L'inexpérience du Docteur vient de ce qu'il n'est que le frère d'un agent secret et non agent secret lui-même. Il serait en effet plus drôle de voir un 007 malhabile ou un frère malhabile en tout - et non expert dans un domaine tout autre - remplacer 007.
Mais même dans ce sérieux qu'il s'impose de façon incohérente, le film ne sait se fixer. Comment prendre au sérieux un film dont le héros est Neil Connery, devenu expert en psychiatrie et en chirurgie par l'Opération du non-sain d'esprit Martino, frère d'un Sean Connery qui serait réellement James Bond? Dès que le nom de Connery - déjà suffisamment phonétiquement comique en français - pointe le bout de son nez au détour d'une réplique du type: "Connery devient dangereux: éliminez-le !", le spectateur n'est plus sûr de bien suivre ce qu'il regarde et se rappelle qu'il n'est pas devant un James Bond. Cet effet plaira aux brechtiens et dégoûtera les autres.
Barry no more, Ennio nuovo !
L'un des points très forts de ce film, c'est à n'en pas douter sa musique.
Comique, festive, elle rappelle l'objectif premier du film tout en se mariant bien avec les scènes d'action.
Le grand Ennio Morricone apporte son talent unique au film, rappelle son italianicité et lui donne un cachet qu'il n'a pas vraiment à la base.
Cela réalise sans doute aussi partiellement le rêve de certains inconditionnels de James Bond de voir le compositeur de nombreux gialli et westerns spaghettis rejoindre la longue liste des immense talents - musiciens comme chanteurs - qui ont participé au mythe 007.
Une friandise pour fan de James Bond
Finalement, Opération frère cadet trouve bien plus d'intérêt dans sa redécouverte par les spectateurs d'aujourd'hui, surtout si ces derniers le replacent dans son contexte et le font dialoguer avec les deux autres James Bond qui constituaient alors les deux belligérants d'une bataille des Bond souvent oubliée au profit de la bataille des Bond de 1983.
Il plaira incontestablement aux bondiens tendance Sean Connery qui Bernard Lee, Loïs Maxwell - dans son propre rôle, exit Miss Monepenny, et donc plus dans l'action, arme au poing - mais aussi une Daniela Bianchi (Bons Baisers de Russie) plus débrouillarde.
Du côté obscur, on retrouve, dans des rôles similaires à ceux qu'ils interprètent dans Opération tonnerre, Adolfo Celi et Anthony Dawson. C'est leur réutilisation qui est la plus intéressante du film. Sorte de nouveaux Largo et Blofeld, ils offrent aux spectateurs, en plus d'un dévoilement complet de l'un des membres du duo, une nouvelle lecture des rapports entre le N°1 et le N°2 du SPECTRE. Dans Opération tonnerre, Largo manifeste une obédience et une allégeance totale à son supérieur, sans pour autant le craindre un instant. Alberto de Martino propose dans Opération frère cadet d'imaginer un Largo moins loyal et plus ambitieux dont Blofeld devrait davantage se méfier.
Enfin, Neil Connery reprend - avec certes moins de panache et de charisme - le rôle de son frère. La ressemblance avec Sean est assez frappante mais pourquoi cette barbe qui m'ennuie plus que le soi-disant jeu approximatif de Neil qu'invoque un main-stream nourri du prêt-à-penser de Nanarland.
En résumé, ce film n'est pas un pastiche, pas une parodie, pas un nanar. C'est un ptyx, un objet innommable, inclassable, indéfinissable, une sorte de goody des sixties pour inconditionnels de 007. On peut l'adorer, on peut le détester comme rester à son égard totalement indifférent.
D'où mon 5 baccarat.