Descendu par la critique, mal aimé par le public comme par son réalisateur, Ophélia demeure une œuvre malaisante et déstabilisante. Pourtant cet Hamlet version Nouvelle-Vague porte déjà en lui le style et l'univers d'un Claude Chabrol alors encore au départ de sa longue carrière.
Au cours de son immense filmographie, Claude Chabrol n'aura eu de cesse de nous montrer qu'il y avait « quelque chose de pourri » au sein des bourgeoisies provinciales qui furent ses principales cibles et inspirations. Adultères, meurtres cachés, secrets de famille alimenteront ainsi son œuvre gigantesque, plus de 70 films. Bien que surprenante au premier abord, voire saugrenue, cette « adaptation » ou variation autour du Hamlet de William Shakespeare n'a finalement rien de surprenante puisque de nombreux thèmes chabroliens y sont présents. Délaissant la voie du pur remake, Chabrol parsème toutefois son Ophélia de nombreux clins d'œil à l'auteur britannique : les monologues déclamés par l'inquiétant André Jocelyn, le fossoyeur déterrant un cadavre, le couple entre la mère et le beau-frère, l'innocente Ophélia ici interprétée par la superbe Juliette Mayniel, une représentation théâtrale accusant le couple adultérin (dans le film, il s'agit d'un court-métrage muet)... Sans aucun doute, Chabrol nourrissait une admiration envers cette tragédie, allant même jusqu'à placer une séance dans le cinéma local du film réalisé par Laurence Olivier en 1948. Acteur quasi-inconnu, et disparu dans la nature sans qu'on sache ce qu'il devienne, André Jocelyn incarne aussi ici un fervent de Hamlet, tellement qu'il modèle la réalité et les faits selon son interprétation de l'œuvre. Être ou ne pas être Hamlet, telle est sa question !
LE FEU FOLLET
Ainsi le personnage principal, au fur et à mesure qu'il sombre dans la folie, ou la simule, entraîne avec lui ses proches dans la destruction. Quasi-autiste et jouant clairement faux, ce qui colle bien avec la schizophrénie dont il semble souffrir, André Jocelyn traverse le film tel un feu follet, tel un spectre perdu dans le sublime noir & blanc concocté par la photographie de Jean Rabier. Un personnage auto-destructeur qui nous fera d'ailleurs songer à Maurice Ronet dans Le Feu follet de Louis Malle, réalisé cette même année 1963. Alors âgé de 33 ans, Chabrol, qui réalise déjà son septième film, place des éléments incontournable de sa carrière à venir : une mise en scène formelle et réaliste, une fin ambiguë, un fou chabrolien ainsi qu'une charge antibourgeoise, l'oncle honni étant un industriel d'ailleurs en difficulté puisque le film se déroule durant un mouvement de grève. A ce titre, le cinéaste nous livre une bande de joyeux bouffons menaçants avec Jean-Louis Maury, Dominique Zardi, Laszlo Szabo en briseurs de grève aussi lunaires qu'inquiétants.
L'ouverture du film est exemplaire avec la vue subjective du défunt, le père d'Yvan, voyant le couvercle se refermer sur son existence puis dès la seconde séquence, la liesse et les sourires après le mariage de la veuve, impeccablement interprétée par Alida Valli qui tourna avec Bava, Argento ou Franju, et de l'oncle, justement joué par Claude Cerval.
Outre le rythme lancinant, le caractère pathologique et le jeu approximatif de son héros, Ophélia cumule encore d'autres faiblesses. Notamment en ce qui concerne le personnage éponyme, Ophélia, qui se retrouve malheureusement hors-jeu la plupart du temps. Un effacement bien dommageable tant Juliette Mayniel incarne à merveille la figure tragique de l'amour impossible.
Déjà échaudé par l'échec de son précédent film, L'Oeil du malin, Chabrol se tournera ensuite vers des films plus commerciaux comme la série des Le Tigre avec Roger Hanin. Mal compris et mal-aimé par la critique, tantôt bouffon, tantôt austère, cet Ophélia mérite cependant d'être redécouvert et réévalué à l'aune de la grande carrière de son auteur.
(Retrouvez l'intégralité de la critique consacrée à l'édition Blu Ray-dvd de Gaumont par ici : http://www.regard-critique.fr/rdvd/critique.php?ID=6690)