En 2009 Seth Grahame-Smith publie Orgueil et Préjugés et Zombies, offrant un surpenand jeu d’écriture qui reprend le célèbre roman de Jane Austen pour le colorier à la sauce zombies et rouge sang. Le succès ne se fait pas attendre, quelques produits dérivés exploitent l’idée, dont une bande-dessinée copieuse mais qui semble inachevée graphiquement. Et un film, sorti en 2016.
Pour qui serait déjà familier du roman ou d’une de ses nombreuses adaptations, il ne sera guère surpris de retrouver les sœurs Bennett, de la moyenne aristocratie rurale, que l’arrivée comme voisins de gens supérieurs à leurs rangs va mettre en émois. Elizabeth, une des sœurs, personnage clé, est une belle jeune femme au caractère sûr. Protectrice envers ses sœurs, les petites affaires de coeurs et de réputation la dépassent, elle accepte les conventions sans toutefois s’y plier entièrement. mais elle va pourtant être ébranlée par le comportement hautain de Darcy, jeune et riche aristocrate, mais froid et blessant.
Mais dans cette Angleterre du XVIIIème siècle, des belles manières et des paroles perfides, un événement a eu lieu, qui a bouleversé la vie de tous. L’introduction du film, en papiers découpés, le présente d’ailleurs avec une belle inventivité visuelle, les zombies sont là, les morts se lèvent. Ils rodent derrière les murs. Ils s’engouffrent dans le moindre passage. Gare à qui serait contaminé, il serait alors tué arbitrairement.
Le texte du film garde donc sa critique feutrée de ce monde social et bourgeois, obnubilé par le mariage et les connaissances, de bonne façade mais le poignard dans le dos. Mais il lui ajoute un cadre plus sanglant, où les morts vivants veulent déguster ces bien vivants, où la situation est grave, la fin semble proche. L’adaptation garde les ajouts de Seth Grahame-Smith, comme ces sœurs Benneth élevées dans l’exercice des arts martiaux, toujours prêtes à réagir et à se défendre, dont Liz est la plus expérimentée, la plus redoutable.
Il faut donc en venir aux mains et aux armes, dans des scènes d’affrontement difficilement lisibles quand elles prennent en charge trop de personnages. La scène du bal dans la bande-dessinée avait de l’allure, ce n’est pas le cas ici. Quand Elizabeth et Darcy en viennent aux mains, dans l’espace confiné d’un salon, le résultat est plus appréciable, parfaitement chorégraphié, rendant bien la tension entre les deux qui éclate enfin. Mais il faut reconnaître que l’effet de foule des zombies est bien mis en valeur, dans la vague sauvage qu’ils peuvent présenter. Les maquillages sont réussis, même si certains utilisent des effets spéciaux numériques, qui soulignent la décrépitude des corps.
Cependant le film prend une liberté appréciable sur le roman en liant un peu plus le sort des sœurs Bennett et des personnages qui gravitent autour, dont le félon Wickham, à cette apocalypse zombie. La conclusion sera donc un peu plus mouvementée, prenant des airs de film d’aventure sans que cela ne dénote, plusieurs affrontements contre des zombies ayant déjà eu lieu, le feu d’artifices final n’étant que le prolongement. L’adaptation suppose même un possible apaisement des relations entre les hommes et les zombies, en les révélant moins animaux que prévu. Une bonne idée qui aurait pu enrichir le métrage si elle n’était pas tordue en deux plus loin, dommage.
Peut-être qu’avec plus de temps, elle aurait pu être mieux exploitée. Mais avec ses 108 minutes, le film va vite. Un peu trop parfois. Les personnages sont moins développés, n’ont que quelques répliques pour s’affirmer, et certains y perdent. Si l’adaptation passe un petit coup de balai sur ce qu’elle ne veut pas garder, il est un peu regrettable que, en dépit de leurs qualités, Elizabeth et Darcy perdent, l’une de son mordant, l’autre de sa suffisance. Certaines scènes s’enchaînent parfois trop vite, et après l’affrontement entre nos deux tourtereaux contrariés, la grande scène de la lettre de Darcy arrive trop vite, et peine à faire remarquer son importance dans le récit.
Il a fallu faire des choix, certains sont pertinents, d’autres un peu moins. Mais le film a de l’allure, et pas seulement dans ses costumes ou ses décors, offrant une remarquable reconstitution historique s’il n’y avait ces bouffeurs de cervelles. La mise en scène de Burr Steers est parfois un peu trop précipitée, comme dans certaines scènes vitaminées, mais elle met bien en valeur ses remarquables acteurs. La photographie souffre un peu d’un léger filtre numérique, mais elle recherche aussi à installer la chaleur à la bougie des intérieurs ou la brume inquiétante des campagnes anglaises, avec un certain cachet. Il n’est pas anodin d’y trouver Remi Adefarasin à ce poste, lui qui avait été nominé pour l'Oscar de la meilleure photographie en 1999 sur le film d’époque Elizabeth.
Pour l’Elizabeth qui nous concerne, c’est la belle Lily James qui l’incarne, brunette effilée aux yeux de chats, une belle prestation, efficace. Sa sœur Jane Bennett est la seule du lot vraiment importante dans l’adaptation, une timidité innocente offerte par Bella Heathcote, charmante dans ce rôle. Le beau mais hautain Darcy, et son orgueil fragile, n’est pas un personnage des plus faciles, il faut du caractère, de la prestance mais aussi de légères fêlures, que Sam Riley endosse assez bien, avec sa belle voix grave et éraillée. Jack Huston pour l’ambigu George Wickam ou Douglas Booth pour l’ingénu Mr Bingley complètent assez bien le casting. Et même si tout ce beau monde répond aux critères de beauté hollywoodiens, chacun est investi dans son rôle.
Orgueil et Préjugés et Zombies est donc une belle réussite, adaptant assez bien le roman en question, retranchant certains points, en ajoutant quelques autres. Les guerres d’influence sont aussi importantes que celles qui se jouent contre les zombies, avec un certain tonus un peu trop ramassé mais entraînant. En développant même ce contexte, avec ce Londres assiégé, ces zombies plus civilisés que prévu, le film donne envie de le retrouver dans un autre film, ce mélange zombies et costumes mériterait de revenir, quitte à offrir une suite complètement originale.