« La mort d'un poète doit savoir se sacrifier pour le rendre immortel »
Qui d’autre que Jean Cocteau pour mettre en scène une version modernisée du mythe d’Orphée ? Qui d’autre qu’un poète pour s’approprier cette œuvre autant que pour lui rendre hommage ? Car si l’on associe d’une part le nom du réalisateur français au célébrissime La Belle et la Bête, il est nécessaire de l’associer également à Orphée tant il reflète une part importante de son brillant auteur.
En 1950, Jean Cocteau est au sommet de son art cinématographique et en maitrise avec assurance tous les outils. Il a cette capacité à pouvoir passer habilement d’un genre à un autre tout en conservant intégralement sa patte, si bien que son univers demeure reconnaissable entre mille. Après le conte et la tragédie historique, son cœur de poète l’entraine à renouer les liens avec une de ses premières œuvres : Le Sang d’un poète. Les expérimentations de ce précédent film prennent tout leur sens dans Orphée.
Le monde cinématographique dans lequel Cocteau s’aventure ici arbore un visage nouveau : un quotidien contemporain décrit avec la patte du réalisme français. Si la scène d’introduction ne manque pas de rappeler éventuellement les canons du genre représentés notamment par Jean Renoir, Néanmoins, il fait glisser le film progressivement vers un univers fantastique. Ses personnages (nommés d’après le mythe) mettent en place une histoire que l’on sait inéluctable. Cocteau joue cependant avec habileté sur la modernité pour proposer une nouvelle approche du déroulement. On a notamment cette image hypnotisant de Jean Marais écoutant d’étranges présages à la radio : c’est la manière la plus littérale pour Cocteau de faire entrer le mythe dans un univers contemporain.
Au fur et à mesure de l’avancement, le rationnel perd pied dans l’univers d’Orphée et expose les obsessions fantasmagoriques de son auteur. « La mort d'un poète doit savoir se sacrifier pour le rendre immortel », nous dit-on. Le lien avec Le Sang d’un poète s’affiche presque avec limpidité tant les films questionnent les affres de la création. Outre la mort, les obsessions de Jean Cocteau refont progressivement surface et l’on retrouve à nouveau un jeu autour du miroir, portail entre deux univers. Tous les outils cinématographiques employés dans d’autres de ses films trouvent ici une nouvelle sublimation, des splendides ralentis et images inversées aux plans en transparence. Cocteau n’a plus les limites de jadis pour façonner les mondes qu’il souhaite et décrit un univers fantasmé d’une remarquable cohérence toujours mis en musique par le talentueux Georges Auric. Rarement un mythe n’aura paru autant palpable.
Aussi loin qu’aille Cocteau dans son dispositif, jamais il ne perd son spectateur. Le film est entrainé par un didactisme subtil dans sa narration qui parvient, par le biais d’une écriture maitrisée, à donner au film une valeur universelle et trans-générationnelle. Comme toujours avec Cocteau, la vie (ou la mort, c’est selon) des enjeux du métrage se manifeste chez Jean Marais. Si le jeu excessif peut éventuellement déplaire, il est difficile de ne pas être emporté par un tel raz-de-marée de charisme. Les évolutions d’Orphée finissent par faire mouche, on ne voit qu’en Marais plus que ce poète maudit.
Orphée est peut-être la clé de la carrière de Jean Cocteau, dont les enjeux paraissaient encore troubles ou moins maitrisés dans Le Sang d’un poète. C’est l’interrogation d’un poète sur sa muse, d’Orphée sur Eurydice, de Cocteau sur Marais. Débordant de passion et de générosité cinématographique, Orphée est comme La Belle et la Bête : sans âge, intemporel. Force est de croire que son réalisateur n’avait alors pas tout délivré à ce sujet, puisqu’il y est revenu, dix ans plus tard, dans Le Testament d’Orphée… A suivre, donc !
La critique sur Cineheroes : http://www.cineheroes.net/retro-jean-cocteau-orphee-1950
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