Cette œuvre m'attendait depuis longtemps, inscrite il y a des lustres sur la liste des films à voir urgemment. J'hésitais à me lancer, toujours réticente devant de grands classiques, mais je me laissais finalement convaincre ‒ comme d'habitude ‒ pour aimer démesurément ‒ comme d'habitude ‒ ces chefs d’œuvres d'un autre temps... Ce fut donc une étrange douche froide que de ne pas aimer ce film, pire, de me trouver parfaitement indifférente quant au destin d'Orphée et de sa Mort. Cette indifférence gentiment agacée me tracasse, et j'en cherche les causes. Le traitement de l'histoire y est probablement pour quelque chose. Le décalage des mythes par une relecture moderne et délibérément anecdotique me plaît généralement, en littérature du moins. L'Orphée de Cocteau aurait du confirmer ce goût. Mais ici, l'histoire devient anecdotique non pas tant pas un ton savamment absurde que par un trop plein de modernisme condescendant qui n'aboutit pas. L'ancrage moderne du mythe, quand il aurait pu susciter la création de nouveaux motifs, enferme plutôt l'humanité dans des traits singulièrement antipathiques et fait chavirer les personnages dans la stérilité. Le rôle des hommes y est misérable ‒ en voilà, des salauds qui se prennent pour des génies et qui ne s'amourachent que de bagnoles et de femmes remplies de mystères! ‒ le rôle des femmes y est misérable, car elles n'existent visiblement que pour se sublimer dans le sacrifice de soi. A part des soupirs, cette histoire n'a pas provoqué chez moi beaucoup de réactions. Le style poseur des dialogues ne m'a pas aidée à m'immerger pleinement dans ce drame du poète moderne, et pourtant, je ne suis pas facilement rebutée par l'artificialité propre aux dialogues des films de Cocteau ; et je savoure même, en principe, la voix atone des acteurs contribuant à cette artificialité. Mais au-delà de ces considérations esthétiques, je tiendrai pour coupable un détail concernant le scénario, qui me semble inacceptable (du fait de l'importance que lui confère ma lecture premier degré du film), et qui se présente comme une faille logique. Un univers irrationnel (et celui-ci ne l'est pas tant que ça, précisément parce que le réalisateur a fait le choix d'ancrer l'histoire dans une modernité très confortable) ne justifie pas toutes les extravagances au niveau du développement, et encore moins concernant la logique propre à l'histoire. Un enchaînement de causes et d'effets se produit, et le récit ne revendique pas une forme chaotique. L'on se trouve dans un ersatz d'irrationalité, pas dans un univers purement illogique. Alors pourquoi diable la récupération des gants (oubliés sur le lit) du passé annule-t-il la mort d'Eurydice? Ils n'en étaient pas la cause! L'oubli, au contraire, avait lieu après la mort! Les gants provoquaient uniquement la descente aux Enfers d'Orphée : retirés de l'histoire, ils auraient du uniquement annuler cette descente aux Enfers, autrement dit annuler le mythe même et nous laisser vivoter dans ce monde moderne démythifié ‒ une idée qui aurait été tout aussi séduisante. Que cette descente soit rêvée ou réelle, cela importe peu, la faille est présente et sert avec paresse de prétexte à un contre-pied final bien amer pour le poète. Je sais bien que la résurrection d'Eurydice crée son petit effet cynique, en renvoyant l'Orphée adultère dans son couple avec Eurydice, sans qu'il prenne lui-même conscience de son malheur, lui qui ne jurait plus que par sa Mort, quelques minutes plus tôt. Mais la faille logique remplit trop l'espace, et casse l'ironie finale en dévoilant le raccourci simpliste emprunté par l'auteur. Cependant je ne peux complètement haïr Orphée pour cette raison, après tout, lui et moi avons la même faiblesse, nous n'avons d'yeux que pour sa Mort. Ô Casarès! C'est sans doute ta virtuosité qui a troublé le scénariste.