Difficile d’imaginer plus grand écart que celui entre ce film et le précédent d’Arnaud des Pallières, Michael Kohlhaas : à la fresque vengeresse, virile et historique lorgnant du côté du western des causses succède une chronique contemporaine, un portrait de femme naturaliste entièrement rivé à ses interprètes.
Orpheline est une expérience qui restitue des pans autobiographiques de sa coscénariste, Christelle Berthevas, à travers quatre époques de sa vie et autant de comédiennes pour un même personnage – qui changera d’ailleurs de patronyme au fil de ses différentes phases d’existence.
On pourrait considérer le concept comme un peu spécieux, à mettre en gras sur le dossier de presse et n’ayant pas de réelle portée au service du récit. Ce n’est que partiellement vrai ; d’abord, parce que les interprétations sont complémentaires et la plupart très convaincantes (surtout celles de Solène Rigot et Adèle Exarchopoulos, le personnage à 13 et 20 ans), et ensuite parce qu’elles permettent d’insister sur des fragments de vie qu’on pourrait considérer au départ comme disparates, mais qui vont dessiner des convergences à la fois psychologiques, sociétales et surtout sexuelles.
La question centrale de ce parcours est celle de l’identité féminine : il s’agit, dans chacun des récits, et plus particulièrement dans les deuxième et troisième, de révéler en quoi le statut de la femme influe considérablement sur la destinée de l’individu. La protagoniste, quel que soit son âge, ne peut faire abstraction de son sexe : parce qu’il est faible, parce qu’il est toxique pour le mâle qu’elle côtoie, parce qu’elle déclenche le désir, et par extension la violence. De ce fait, le motif qui donne son titre au film est de loin le plus intéressant : cette idée d’adoption d’une jeune fille qui ne demanderait rien d’autre que de se recréer une identité ne peut éluder la question du sexe, et l’évolution du récit, par le jeu de charme presque tragique que met en place la demoiselle (et qui trouvera une résonnance très pertinente lorsqu’on fera connaissance de ses expériences d’adolescente) est d’une ambivalence tout à fait passionnante. Il s’agit ici de torts partagés, dans lesquels hommes et femmes se trouvent prisonniers de schémas qu’ils aimeraient pourtant dépasser. L’orpheline, en somme, ne peut trouver un père de substitution parce que celui-ci sera un homme délivré du tabou de l’inceste.
Il y avait ici, en réalité, matière à un film à l’unité déjà bien dense : celui de cette femme entre 13 et 20 ans, et sa lutte maladroite avec les poncifs dont elle se fait la complice.
Mais l’ambition est plus ample : il nous faudra l’enfance, et surtout la femme adulte, qui assurera le lien entre les divers récits par une destinée supplémentaire, portant le fardeau du passé vers un avenir incertain. Cela fait beaucoup, et le rôle confié à Adèle Haenel est sur ce plan assez ingrat, se résumant à des larmes et du mutisme riche de tout ce que son personnage a vécu auparavant. C’est d’autant plus regrettable qu’elle est ici dans un terrain familier, et qu’elle avait particulièrement bien investi dans un film très similaire, le Suzanne de Katell Quillévéré.
On a surtout la désagréable impression d’assister à une forme d’acharnement comme les naturalistes en ont le secret lorsqu’ils décident de faire de leur personnage un déversoir à toutes les avanies possibles de l’existence. Toute la dernière partie est à la fois dispensable et poussive et fait perdre au film la belle intensité qu’il a pu occasionner par instants.
Les intentions sont louables, le parti pris pertinent, les comédiennes talentueuses : c’est l’écriture qui n’ose pas la coupe franche, et cette vérité si dure à admettre pour un créateur : moins parler, c’est très souvent mieux dire.
(6.5/10)