Quatre visages. Quatre âges différents. Quatre actrices pour les incarner. Quatre prénoms, reflets d'une habitude, d'un choix, d'un masque, d'un nouveau départ... Vega Cuzytek en Kiki petite fille, Solène Rigot en Karine préadolescente, Adèle Exarchopoulos en Sandra toute jeune femme, Adèle Haenel en Renée jeune adulte. À chaque âge, un homme, voire plusieurs, mais un dominant, et pouvant couvrir plusieurs périodes. Se succèdent ainsi Sergi Lopez, en protecteur paternel, secourant Karine en pleine crise, puis amant ; Robert Hunger-Bühler, en protecteur de Sandra, d'abord en recherche d'une fille à adopter puis amant et initiateur à l'univers des paris hippiques ; Jalil Lespert, en époux de Renée ignorant tout de son passé.
Le scénario, à l'image de cette personnalité éclatée, procède par fragmentation, accompagnant d'abord Renée dans le moment où son passé la rattrape, à l'occasion de la sortie de prison d'une ancienne amie, superbe Gemma Arterton, dont le visage ouvert et sculptural n'est pas sans évoquer, au féminin, celui de Mads Mikkelsen, dirigé par Arnaud des Pallières dans son précédent film. Après ce long flash-back, la narration alterne l'accompagnement du personnage de Renée adulte et des retours en arrière suivant une chronologie inversée et plongeant de plus en plus loin dans le passé de l'héroïne.
Après sa magnifique adaptation du court roman de Kleist, "Michael Kohlhaas", le réalisateur, secondé par la même scénariste, Christelle Berthevas, exploite ici l'apport autobiographique de celle-ci pour se pencher, cette fois, sur un personnage féminin. Mais, par-delà la rupture du genre, on retrouve, en cette "orpheline", une parente de Kohlhaas, dans la mesure où l'on fait face à un personnage de rebelle, qui explore la marge de la société pour s'y mouvoir selon une quête affective et éthique toute personnelle. Mais dans ce dernier opus, loin des paysages ouverts de Lozère dans lesquels évoluait le héros incarné par Mads Mikkelsen, la caméra cadre volontiers les visages de très près, les enserre, surtout celui de son héroïne multiple, soulignant ainsi l'enfermement dans lequel elle se débat.
Car dans cette subtilité toute paradoxale réside l'une des très grandes forces du film : alors que le personnage nous est constamment montré dans sa quête de liberté et son désir d'affranchissement, cette figure se retrouve toujours, à quelque âge qu'elle soit saisie, dans des situations qui la livrent au pouvoir de l'autre, ainsi que l'illustre la place qu'elle occupe dans les nombreuses voitures qu'elle emprunte : jamais au volant, conduisant sa vie, mais passagère avant, conduite par, et d'ailleurs volontiers lovée sur elle-même, en position fœtale. Est-ce dans le ventre des hommes, constitué par leur voiture, qu'elle entend se guérir de son vécu d'"orpheline" ? Terme mystérieux, à entendre métaphoriquement, puisque, si la mère est vite éloignée, le père de plus en plus violent campé par Nicolas Duvauchelle n'est, pour sa part, que trop présent. Il n'empêche : nous ne sommes finalement pas surpris de voir Renée, fraîchement mère, affirmer sa paradoxale liberté en fuyant vers le lieu le plus clos qui soit...
Arnaud des Pallières signe là un film aussi brillant que captivant, qui ouvre des abîmes de questions, et que l'on adopte pour longtemps, une fois que l'on s'est laissé prendre par lui...