L'impression d'avoir rencontré quelqu'un...
Oslo, 31 août n'est pas un moment de cinéma comme un autre.
Tout d'abord, rien que son titre, son affiche (très belle affiche !), et sa bande-annonce suggèrent un film assez énigmatique. Qui sait exactement à quoi s'attendre lorsque les lumières de la salle de cinéma s'éteignent... Ce début également, souvenirs racontés pêlemêles par différents narrateurs, sans laisser au spectateur aucun repère précis pendants ces premières minutes, sinon une chose : Oslo. Oslo, centre de tout : avec un effet miroir, c'est là où le film commence, là où le film finit. C'est dans cette ville que l'on va entrer pour ressortir ensuite. Là où tout va se jouer. Une sorte de zoom de quelques heures, d'une journée en fait. Celle du 31 août.
Bien vite, cette introduction mystérieuse fait place à l'une des scènes les plus violentes du film (avec la scène quasi-finale, à nouveau en miroir) : pas de doute, maintenant le spectateur ne peut plus se demander où il est, il reste simplement béat devant ce spectacle glaçant. La caméra nous montre froidement ce qui annonce toute la couleur du film, ce vers quoi il semble tendre, ce qui semble la seule issue possible pour notre héros. Notre héros, c'est bien le mot : ce personnage auquel nous nous attachons bien vite tant cette rencontre semble incongrue, nous pensons voir sa fin avant même de commencer à le connaître.
Oslo, 31 août, c'est en fait un portrait de vie, celle d'Anders, qui, après de sombres années, tente désespérément de revenir dans ce monde auquel il n'appartient plus.
Sans jamais prendre partie, le réalisateur (Joachim Trier) tend à nous montrer à quel point cet homme est seul, incompris. Chacune de ses actions sonne comme un appel à l'aide, chacune de ses rechutes est un mouvement de recul face à tout ce qu'il voulait retrouver.
Mais loin de simplement le regarder évoluer, le public vit les choses avec lui et rêve à tout moment d'enfin pouvoir lui porter secours. Car voilà l'évidence : seul, Anders est perdu. Chaque espèce de réserve de la part de ses proches, chaque marque de méfiance venant de nouvelles personnes, chaque refus le pousse à faire marche arrière. Naturellement, c'est toujours à ces moments là que la tentation intervient. Et nous public, impuissants, nous le regardons enchaîner les échecs, avec sa famille, ses amis, pour un travail, ou avec son ex-copine...
La meilleure illustration de cette "complicité" avec Anders est une scène presque centrale, celle où, attablé à la terrasse d'un café, il écoute les conversations des personnes qui l'entourent. Comme lui, nous nous plaçons en témoin de ces parcelles de personnages qu'on entrevoit après les quelques mots qu'on saisit. La sélection qu'effectue son oreille est la nôtre, nous changeons de discussion quand il en change. C'est touchant de le voir si attentif, ému de renouer ainsi légèrement avec la réalité de la vie qui l'entoure. Même si en fait, tout cela n'est qu'illusion : rien ne pourra lui faire regagner ce monde, duquel il est devenu à jamais étranger.
Anders ne se tait pas, mais il ne se parle pas non plus. Ses mots sont silencieux, prononcés par un regard, un geste. Avec son entourage, il répète à tout va qu'il est guéri, que tout va mieux, comme pour se convaincre lui-même. Seuls ses messages téléphoniques, seuls contacts à l'être depuis longtemps aimé et jamais oublié, semblent refléter son être. C'est à son téléphone qu'il va avouer que c'est faux, qu'il n'est pas guéri, et qu'aucune solution n'est envisageable.
La crainte de ses proches d'une éventuelle retombée est précisément la raison qui va l'empêcher de sortir définitivement la tête de l'eau. Lorsqu'il évoque le suicide, les gens ignorent que ses mots se sont déjà transformés en acte. La répétition générale a déjà eu lieu, mais les gens ont trop peur de lui pour empêcher la première -et dernière- représentation. Si on les comprend, notre regard extérieur nous dicte avec violence que quand on aime on pardonne, et que tout le monde a le droit à une seconde chance. Mais son entourage a trop souffert, et laisse ce garçon, à qui pourtant tout réussissait autrefois, sans aide réelle et sans soutien.
Anders Danielsen Lie, (non-)acteur brillant, porte le film de façon merveilleuse. Il donne à son personnage ce qu'il faut de détresse, d'intelligence, et de profonde gentillesse, celle qui le rend si attachant. En lui brille l'unique petite note de joie, car bien qu'animé par des envies de mort, il garde une foi en la vie et en les gens, infime mais toujours présente, accompagnée de ce rêve qu'un jour, tout redeviendra comme avant, tout reprendra sa place.
Le désespoir s'empare de nous lorsque l'évidence apparaît. Le film plonge, comme plonge le destin de son héros, et aucune lueur d'espoir ne viendra illuminer l'horizon. Cette "avant-scène" finale, en écho à l'une des premières, montre avec le même regard impassible un plan unique et quasiment fixe : un calme apparent seulement, qui nous transperce, nous détruit.
Oslo, 31 août passe comme quelques heures, comme cette journée qu'il est vraiment : le dernier jour avant septembre sous le regard neutre de la ville d'Oslo, qui est en fait un peu comme le narrateur et témoin d'une histoire. C'est elle qui nous présentera Anders, cet homme au destin brisé qui marquera vos vies, cet homme à qui il aurait simplement fallu tendre la main..