Une larme a coulé sur la joue de cette geisha comme une autre a coulé sur la mienne…
Il m’est déjà arrivé de pleurer au cinéma sans savoir pourquoi. Il m’est déjà arrivé d’être émue par la perfection d’un plan, d’une image. Mais là, et je peux le dire, j’ai vraiment et simplement pleuré « de beauté ». Les images tour à tour me consommaient le cœur et me brûlaient la rétine, si bien qu’avant même de m’en rendre compte, mes yeux se trouvaient embués, et ce à plusieurs reprises.
Qui aurait pu croire qu’en une heure et demie à peine, quelqu’un saurait définir avec brio l’Existence elle-même. Qui plus est lorsque cette définition est en fait un cortège de plans tous plus beaux les uns que les autres. Le réalisateur parvient à effleurer tous les sujets qui nous définissent et nous environnent.
Désormais, les fans de la lenteur et du silence ont trouvé leur représentant : Samsara en est bien la preuve, pour faire un chef-d’œuvre, pas besoin d’action à proprement parler. Et bien au-delà de tout texte ou dialogue, bien supérieur à la présence d’une simple voix-off, là on peut bien le dire, les images parlent véritablement d’elles-mêmes. C'est d'ailleurs frappant de voir à quel point, même lorsque l’on est fan du principe, l'ennui ne se fait jamais sentir : pas une seconde n’est de trop !
Samsara se développe tout en contrastes. Entre les deux parties tout d'abord, séparées par cette scène où un homme 'éclate' littéralement : la première passe comme un rêve, l’Homme y est absent, et la nature lumineuse nous fascine et nous rappelle à chaque instant combien le monde est un enchantement. La seconde est tout aussi éblouissante esthétiquement parlant, mais l’Homme apparaît et les sujets proprement dits sont parfois bien moins "positifs", quand ils ne sont pas révoltants.
Contrastes de vitesse également : bien qu’extrêmement (et merveilleusement) lent, nombreuses sont les utilisations de passages en avance rapide. Ces accélérations sont preuve de la fuite du temps, mais témoignent également du nombre de personnes impressionnant que les lieux voient défiler.
De même, on passe de l’horreur au merveilleux en l'espace de quelques secondes. Il y a bien sûr l’opposition entre la nature pure, à l’état brut, et les places sculptées par la main de l’Homme. Montagnes, volcans, ciels, chaque paysage nous scotche. Quant aux traces du passage de l’Homme, tour à tour les lieux impressionnent et désolent. Des ruines (tellement belles et touchantes), des endroits synonymes d'aberrations, mais aussi des merveilles absolues telles que, pour "la jouer français", la galerie des glaces ou Notre-Dame (sans doute les plus belles images de la cathédrale que j'aie vues ! Je ne lèverai plus jamais les yeux ni vers la rosace et les vitraux ni vers la piéta de la même manière. Merci Ron Fricke !).
Les différentes apparitions musicales constituent également une belle diversité.
Et enfin, l'opposition entre les gros plans sur un visage ou un autre, et les vues du ciel d'un rassemblement de centaines de personnes.
Les personnages n’en sont pas, ils sont seulement des échantillons représentatifs des mille et une variations de l’espèce humaine.
Il y a ces portraits où les gens sont filmés dans toute leur non-humanité, immobiles et tellement apprêtés qu’ils deviennent eux-mêmes décors et paysages. Leurs regards vides et inexpressifs nous pénètrent. Quelques battements de cils tout au plus, les yeux clignent mais continuent de fixer intensément le spectateur.
Et il y a cette masse, fourmilière vivante, illustration de l’uniformisation où s’effacent les particularités de chacun, où l’individualité n’est plus. Ces chorégraphies géantes sont absolument bluffantes. La totale synchronisation fait l’effet d’un tableau mouvant où les couleurs changent et se déplacent, donnant lieu à des impressions surréalistes, comme le flou de ces jambes marchant à l’unisson.
Pour ne prendre qu’une scène, parmi tant et tant d’autres, celle de la fabrication de la "peinture". Beaucoup d’hommes sont regroupés autour de ce subjuguant tableau, chacun se concentre sur un ou plusieurs détails, leur travail est d’une précision et d’une minutie affolante. Les couleurs et les motifs nous illuminent les pupilles. Le résultat est d’une perfection absolument émouvante.
Mais presque plus belle encore est la destruction de cette oeuvre d'art. Tant de travail si rapidement réduit à néant, les formes disparaissent sous nos yeux en un instant. Mais le désespoir fait place à l’étonnement, car les couleurs se mélangent et s’assemblent pour en créer d’autres, plus belles et plus rares encore. Stupéfiant.
S’il fallait envoyer un film aux éventuels autres habitants de l’univers, ce serait celui-ci. Samsara exprime à merveille l’ambivalence et les diverses contradictions de l’action humaine sur la planète Terre. Ron Fricke pose un regard froid et absent de tout jugement sur tout ce qu’il touche. La caméra ne s’étale jamais, et les images se succèdent laissant libre choix au spectateur de les interpréter comme il lui convient.
Le résultat est bien plus qu'une réussite. Un condensé maîtrisé et cohérent aux couleurs d’une pureté sans égale. Évidemment hypnotique, mais aussi très relaxant, apaisant. Les transitions sont parfaites et le tout est d’une fluidité étonnante.
C’est bien plus qu’un documentaire, bien plus qu’un film. C’est autre chose. Une expérience unique, un trésor inépuisable dont on ne se lasse jamais. Chaque visionnage nous laisse sans voix, chaque détail nous interpelle. Samsara est en fait, et ce malgré un glaçant constat sur la société actuelle, une réelle lueur d’espoir et une véritable bouffée d’oxygène.
Nb : Je ne sais pas ce qu'il fait encore à 9...Il est plus que probable qu'il ne puisse pas échapper au 10.