OSS 117 alias Hubert Bonnisseur de la Bath est d’abord un personnage de roman de gare de Jean Bruce. Le Caire Nid d’espions en est une très libre inspiration puisque Hazanavicius le transforme en héros et sujet d’une parodie et d’un pastiche (de James Bond pour le cinéma – avec références à Hitchcock et notamment La Mort aux Trousses ; de l’après-guerre pour le contexte social et politique). Nous sommes en 1955 et OSS 117 (campé par Jean Dujardin) est envoyé en mission en Égypte avec pour couverture un élevage de poulets où il prend la relève de son "ami" Jack. Il est assisté par Larmina (Bérénice Bejo), otage de sa beauferie intempestive. En effet, Hazanavicius fait de cet espion américain d’origine hexagonale un agent secret "so french".
Le Caire Nid d’espions (comme son successeur Rio) est un alien dans le paysage de la comédie française, dont l’un des effets a été de lui donner l’assurance pour The Artist, projet au départ périlleux, auquel producteurs et chaînes de télévision refusaient d’accorder leur soutien, avant qu’il devienne l’Oscarisé que l’on connaît. Par-delà l’humour subtil et l’élégance, OSS 117 impose une emprunte formelle très audacieuse. Officieusement pastiche et compréhensible en tant que tel, Le Caire n’est pas une simple redite dégénérée ou folklorique ; le film jouit d’une authenticité à l’artificialité latente et créée par son biais une connivence inouïe avec le spectateur. De la même manière, il n’humilie pas simplement son personnage, mais en fait plutôt un sparring partner embarrassant qui aurait pris la place des vrais héros, ceux qui assumeraient la reconstitution sans faire tâche.
Il en a pourtant le sérieux ! Sans pouvoirs surnaturels sinon sa confiance en lui absolue, Hubert Bonisseur est un super-héros grotesque et surtout un lourd absolu. Il est misogyne, raciste, inculte, prétentieux et nombriliste. Hazanavicius et Dujardin en font un merveilleux beauf en costume, un connard civilisé, tout en lui accordant un grand capital sympathie. Sa géniale bêtise est renforcée par l’inconscience totale des réalités de l’environnement, qu’il croit pourtant maîtriser et comprendre comme personne. Totalement centré sur ce qu’il connaît déjà et incapable de percevoir la moindre nuance, la possibilité d’une autre norme, il filtre et assimile la réalité par les caricatures brodant son esprit. Cette absence vertigineuse (et hilarante pour qui ne la subit pas et en voit les conséquences absurdes) d’emphase, d’ouverture et plus encore de recul le rend incompatible avec le respect des traditions et des codes tacites des lieux où il se rend. Le climax de cette virtuose connerie est atteint avec l’agression du muezzin, impudent trublion osant troubler son sommeil, qu’il s’empresse de corriger sans la moindre gêne, rationalisant la situation avec toutes ses ornières bien remontées.
Le seul bémol à apporter au film : son montage, trop rigide voir schématique, il sert généralement l’exploitation des clichés mais peut à l’occasion étouffer les gags ou diluer l’humour dévastateur de certaines situations et réparties. La scène chez le porte-parole du gouvernement en est l’exemple malheureux : de cette géniale séquence de trois minutes où Hubert se lâche comme jamais, la censure a tout abîmé en tolérant un redécoupage composé n’importe-comment, sabotant tout le style, ne laissant que l’écriture exquise faire son œuvre.
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