Ignare et pugnace, le plus grand espion français n'a pas changé d'un poil entre le premier épisode et ce second. Douze ans les séparent en réalité mais sur l'image, pas une ride, pas un cheveu blanc. Et dans son humour et son verbe on se délecte effectivement d'un esprit douze ans plus vieux, douze ans plus travaillé ; les deux pieds dans la vigueur de l'adolescence. On ne parlera pas beaucoup de l'histoire et de ses rebondissements : une mission d'espionnage, un microfilm à récupérer, une couverture et un ancien nazi à faire juger. Emballée et pesée en quelques minutes d'introduction. En ces mêmes quelques minutes s'évaporent nos attentes inspirées par le principe même des comédies à suite : aucun gimmick ne s'installe entre les deux numéros, pas réellement de lien ni de liant autre que celui du rire et du bagou du personnage d'Hubert Bonisseur de la Bath (le nom le plus ridicule de l'histoire de la fiction francophone tout de même). On garde donc un socle en parfait état (espionnage, pastiche, belles pépées et aventure) et on s'astreint à exploiter un filon sans relâche avec une cohérence (très souple) en tête : même en '67 (et en 2009) le nazisme a la dent dure. Et la vie dure.

Dans tout ce qu'elle a de plus efficace et fédératrice, la lourdeur de l'humour millimétré d'OSS ne s'accorde pas de repos. Certains gags chutent, parfois, la plupart font du zèle et atterrissent en beauté (les courses poursuites/fusillades totalement abracadabrantesques qui ne cessent d'harceler nos zygomatiques). Entre ellipses stylisées et répliques pittoresques, on voit peu de reproches à lancer au nez et à la barbe de ce nouvel OSS 117. D'autant plus que le film contient sa part de subversion par son jusqu'au-boutisme (et surpassement total du mantra du « Caire, nid d'espions ») et son discours de réhabilitation de l'homme derrière le costume ; du nazi derrière le nazisme.

Film radical mais non sans concession. L'espièglerie a ses limites dans les zones qu'elle aimerait toucher. On rira des chinois qui sont un million et probablement tous frères, des Juifs, des Nazis, et un peu des français parce qu'il paraît que l'auto-dérision est la plus belle des armes. Ici, on relèvera une faiblesse. Et surtout on s'interrogera. Le doux esprit de moquerie de toutes les cultures, où va-t-il ? Noël Flantier (nom de couverture d'Hubert dans ce numéro) déplorera l'absence de saucisse dans la culture juive, en remarquant que cela a tout de même un petit air de « Jacadi a dit « pas de charcuterie » ». Car c'est avant tout là que réside le génie simple de Michel Hazanavicius : réduire les cultures à des mécanismes en vase-clos, répétés et butés, et imprimer en gras le fait que la dynamique propre à la culture française est avant tout de relever ces mécanismes. Certains fronceront des sourcils face à la brusquerie française, son discours échevelé, et sa façon parfois tapageuse de viser juste par inadvertance.

Le summum de la blague et du trait d'esprit sera atteint vers la fin du film, quand le nazi (qui ne rêve que d'un nouveau Reich et de conquêtes au fond, pour accentuer son côté monstre) parlera comme un homme et citera le texte de « réhabilitation du peuple juif » signé William Shakespeare « Le Marchand de Venise ». Ces hommes sont des nazis, même dans les années '60, mais ce sont également des pères, des frères, des hommes sensibles et qui demandent à être respectés. Rire avec le non-rire, là où personne n'ose plus aller depuis le milieu du XXème siècle, voilà ce qui impose tant le respect envers cet OSS 117. La lourdeur s'échine sans cesse à désenclencher le malaise. Réussir à présenter le conflit du Juif et du Nazi comme un tableau cocasse, rien de plus.

Certains s'indigneront de tant d'ardeur à la réhabilitation du nazi. Il faudra attendre les jours suivants la sortie pour (espérer ou non) le déclenchement d'une polémique. Le coup de bluff, aux antipodes des comédies françaises rabâchées depuis des décennies, est d'oser un humour sans savoir si le public y est prêt ou pas. Et si on peut rire du nazisme c'est dans sa charge (cette fois-ci politique et qui dépasse le cadre de la comédie) sur l'état de la France (dans un parallèle années 60 / années Mitterrand / années 2000, en fait, le parallèle qu'on voudra) que le film est le plus titillant et agitateur. Car les grands chefs français sont d'anciens collaborateurs et les frontières entre la dictature et la non-dictature sont parfois troublantes, même au sein de l'hexagone. En visant le cœur même de l'identité française, sans plus aucune soupape de sécurité, c'est alors que le film propose quelque chose : rira-t-on devant nos erreurs ou nous insupporteront-elles ? Le discours, jamais trop appuyé ni même perspicace (pour brouiller les pistes) s'emballe dans ces quelques moments hors comédie pour laisser une trace bien nette quelques heures après la projection. OSS 117 combattra tout le XXème siècle durant le nazisme, comme les français n'ont jamais vraiment su le faire (jamais au bon moment du moins) et n'interrogera jamais les motivations qui habitent ses supérieurs. Photo-finish du français d'après guerre, en écho à l'histoire d'un peuple et d'un pays en retard mais dont l'humour est une arme très acérée. Elle le fut oui, et peut-être qu'avec OSS 117 et le travail à venir de Michel Hazanavicius on peut espérer retrouver de cette gloire simple et démodée : celle de rire de tout aux dépens de tout le monde en supposant qu'une fois de temps en temps on le fera pour braver la menace ; et alors nous aurons eu raison.
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le 6 août 2010

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