-Le Othon des Straub, daté donc de 1971 : C'est le film le plus Nouvelle-Vague de toute la Nouvelle-Vague. De un, et, de deux, un film qui prouve que le cinéma est quelque chose de pur. De trois, un des plus beaux films de la décennie 70. De quatre, un des plus beaux films de l'histoire du cinéma. A voir absolument.
-Le film est équilibré. Il montre un progrès : A l'époque du cinéma, où on peut enregistrer une fois pour toute une performance théâtrale, le théâtre "officiel" ne sert plus à rien. Encore plus aujourd'hui où même le cinéma est enregistrable sur internet. Ca, c'est une idée socio-économiquement progréssiste, c'est quelque chose de très très concret, qui attaque l'institution et qui attaque toute une façon de voir le monde, la façon "lourde", la façon "spécialisée", et attaque la bourgeoisie. Quand on voit ce film, on sait qu'on ne mettra jamais les pieds dans une salle de théâtre. Un peu comme, quand on entend du jazz, alors on sait que la musique classique ne sert plus à rien en fait. Quelque chose de cet ordre, et je crois qu'au fond plein de gens doivent sentir ça je pense, la caducité des arts, le fait qu'ils ont un temps historique propre, et que, au bout d'un moment, "ça suffit" comme ça deux minutes quoi. En somme, Chaplin avait déjà commencé l'opération destruction, Othon lui achève définitivement le théâtre, métaphysiquement parlant.
-Cela dit, le film montre aussi un "régrès" : On filme dehors, mais on ne filme pas non plus des contemporains, on filme des empereurs romains et du théâtre, le saut du tigre dans le passé : Othon ne croit pas en la liberté, Straub ne croit pas en la liberté (d'où le fait qu'il soit si mal aimé), mais à une lutte constante entre les hommes (Ici les personnages de Galba Lacus et Vinius contre Othon Plotine ect...). Donc, progrès d'une part et règrès de l'autre, plus et moins, gauche et droite, lutte DANS le film, pas lutte entre le film et la société ou je ne sais pas quoi et autres trucs malhonnêtes là, non non; lutte à l'intérieur de l'artiste, à l'intérieur des Straub, lutte entre les Straub et les Straub. Lutte entre Jean-Marie et Danièle quoi quelque part. Donc, honnêteté artistique, donc, sérieux, donc, réalisme, donc, oeuvre d'art.
-Le cinéma de Straub est paraît-il difficile. Faux. Je suis désolé mais le Casino de Scorcese est 100 000 fois plus difficile à regarder, pour regarder Casino il faut une concentration intellectuelle ENORME pour supporter tout le non-naturel de la mise-en-scène, tandis que, pour regarder Othon, on ne fait aucune effort, le film entre tout seul dans l'âme, un peu comme la fumée qui s'insinue en nous quand on tire une bouffée de cigarette. Quelque chose comme ça, le bon cinéma fonctionne toujours comme ça, par infusion. La force et la douceur du cinéma des Straub. Pas un des deux, mais les deux ensemble. Ensemble.
-Ce film est, disons, un mélange de Pagnol Antonioni Mizoguchi et Fritz Lang.
-Les critiques parlent du rapport à la terre et des pierres ou je ne sais pas quoi et ça contribue à donner une fausse idée de leur cinéma, ça contribue à donner une idée idéaliste. Car, les Straub, ce n'est pas la Terre, mais c'est plutôt le terre-à-terre, la popotte, la simplicité, le populaire, l'anti-élitisme: quelque chose de très simple et faite avec le plus grand soin. Et c'est, cinématographiquement parlant, d'ailleurs, le cinéma le plus simple qui n'a jamais été fait. Il faut avoir du courage pour penser simple dans un monde compliqué, en opérant ce furieux saut du tigre dans le passé. Furieux, mais dans le passé... Contradictions, contradictions, cinéma, cinéma...