Nomadland à quai
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Avec Ouistreham, Emmanuel Carrère réalise sa première véritable œuvre de cinéaste ; La Moustache était une auto-adaptation, tandis que Voyage à Kotelnitch un documentaire presque improvisé et intimiste qui faisait le pont avec son livre Un Roman Russe.
Mais Ouistreham n'emmène pas l'écrivain et réalisateur loin de ses propres terres pour autant, adaptant l'essai journalistique de Florence Aubenas (les deux écrivains ayant depuis toujours des accointances littéraires évidentes).
Il faut saluer tout de même le travail de Carrère à la "cinématographisation" du texte d'Aubenas ; la condition des agentes d'entretien avait été admirablement documentée et retranscrite dans le livre, et le réalisateur, en la mettant en image, en la fictionnalisant, en se focalisant sur un personnage principal inventé, lui donne une dimension concrète, physique (matérialisant deux mondes, deux classes sociales pas faites pour se rencontrer et qui, de fait, ne font que se croiser), et propre à l'émotion, notamment dans sa dernière partie (ce qui n'était pas l'intention du livre malgré sa justesse journalistique). En adaptant librement donc, et avec audace, Le Quai de Ouistreham avec son ex-compagne Hélène Devynck, le réalisateur va plus loin que le livre, abordant notamment "l'après enquête", ce qui manquait au livre, et satisfait ainsi notre appétit de spectateur.
Mais ce qui intéresse peut-être plus dans ce Ouistreham, au-delà de son sujet social abordé avec justesse mais grand classicisme (rien de bien révolutionnaire là-dedans, mais le taff est fait), c'est la manière qu'a Carrère de creuser encore et toujours le sujet qui le travaille intérieurement en tant qu'auteur ; la mise en scène de l'écrivain au travail, la façon dont une œuvre se trouve en trouvant son sujet - ici un personnage -,la remise en question permanente de la place de celui qui raconte ("d'où tu parles ?"), place toujours aussi illégitime que nécessaire, et enfin les mensonges et la vérité avec lesquels il doit jongler sans cesse, quitte à blesser autour de lui.
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le 13 févr. 2022
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