Je connaissais Rivette à travers 4 ou 5 de ses films où leur longueur m'avait le plus souvent désarçonné voire agacé : ses films sur le théâtre et ses répétitions étaient la plupart du temps d'un ennui abyssal comme dans "Paris nous appartient" ou "l'amour par terre" par exemple. Seul un film m'avait vraiment plu c'était " Céline et Julie vont en bateau" où l'imaginaire y tenait une grande place au milieu d'un quotidien en apparence banal. Là résidait le talent de Rivette : lorgner du côté du serial à la Feuillade, faire surgir le mystère et l'aventure au milieu d'appartements et des rues parisiennes, de personnages croisés au hasard.
La première demi heure de Out1 fut difficile : les scènes d'impro de la troupe de Michael Lonsdale sont interminables et mes craintes devenaient assez fortes avant que ne surgissent les scènes avec Jean-Pierre Leaud et Juliette Berto qui nous ramènent au plaisir du film. Rivette imaginait le spectateur de son film comme un funambule en haut de chaises en équilibre : c'est inconfortable mais l'ensemble arrive à tenir pour celui qui poussera l'expérience au bout des 12h50 de projection ! L'intrigue aussi mince soit-elle nous entraîne dans une succession de scènes à la fois amusantes, surprenantes, dérangeantes et fascinantes : à partir d'une improvisation totale (aucun script, aucun scénario si ce n'est un fil rouge qui est un groupe nébuleux de treize membres inspiré de "l'histoire des treize" de Balzac). Film donc difficilement racontable mais qui possède une vraie force dès que le mot fin apparaît : se mêle l'impression de s'être immergé dans le Paris et la côte normande en 1970, dans ces groupes de jeunes cherchant dans le théâtre, les cafés associatifs hippies des réponses à leur existence; d'avoir entr'aperçu de mystérieux liens entre les personnages; de s'être attaché à beaucoup d'entre eux (Michael Lonsdale y est formidable, Juliet Berto inoubliable); de s'être amusé avec les acteurs comme on s'amuserait à s'inventer des histoires pour de faux avec un ami. Il y a en effet chez Rivette une grande part de l'enfance dans ce film : à l'image de toutes ces improvisations des deux troupes de théâtre, de Berto jouant au cow boy dans sa cage d'escalier, de Leaud jouant au sourd muet, de ces histoires et imaginations de sociétés secrètes qui échappent du quotidien. L'utopie de mai 68 devait se réinventer quelque part et Out 1 noli me tangere en est une parfaite illustration somme toute plus ludique que la version remontée en 1974 de 4h30 intitulée elle Out1 Spectre (au montage plus serré, plus obscur, moins immersif)... Une belle découverte exigente (on peut évidemment en comprendre pour certains le rejet ), film sur le temps qui passe, du temps qui reste (sans doute le vrai sujet du film et du cinéma finalement : capter un instant pour l'éternité) et qui laisse au spectateur, qui aura su ou pu aller au bout de l'expérience, une empreinte essentielle.