Ils pensent que nous sommes des fous et des pervers...
Basée sur le roman plus ou moins biographique When Men become Gods de Stephen Singular (Anyone you want me to be, Unholy Messenger…), adapté pour la télévision par le trio Steve Kornacki (the Sopranos, Boardwalk Empire…) – Alyson Evans (Michael Clayton, Royal Pains…) – Bryce Kass et réalisé par Gabriel Range (the Man who broke Britain, I am Slave…), Outlaw Prophet – Warren Jeffs est un téléfilm centré sur le leader fondamentaliste mormon Warren Jeffs, qui a été arrêté en 2006 et purge actuellement une peine à perpétuité pour détournement de mineurs. Ce téléfilm a été diffusé le 28 juin sur la chaîne américaine Lifetime et a passionné près de 2 millions de téléspectateurs.
Je ne suis pas très cliente des « histoires vraies », d’une part parce que c’est [très] souvent larmoyant et d’autre part parce que cela donne d’assez rares bons films / séries parce qu’on se borne souvent à mettre bout à bout des scènes significatives de la vie de ces personnes en considérant que tout le monde connaît, et donc que tout le monde fera dans sa tête les transitions entre les scènes. Assez souvent, donc, ces films / séries « basé(e)s sur une histoire vraie » sont dénués de tout propos ou cheminement intellectuel et se bornent à un récit des faits froid, tout en mettant l’accent sur les éléments tragiques. Qu’il s’agisse du biopic d’un personnage célèbre ou d’un personnage ayant vécu un fait divers, le résultat a assez souvent tendance à me décevoir autant qu’à m’ennuyer… Outlaw Prophet: Warren Jeffs n’est donc clairement pas le genre de film – ou plutôt téléfilm – sur lequel je m’arrête spontanément.
J’ai suivi – comme beaucoup – la série Scandal (dont on vous reparlera !) et y ai découvert Tony Goldwyn, qui jusque là m’était inconnu et qui était vraiment très loin d’être l’acteur le plus convaincant du casting. Malgré tout, j’ai tenu à tenter de le voir dans un autre type de rôle, un peu moins « victime de ses hormones » et un peu plus charismatique.
Le film s’ouvre sur un homme essayant d’échapper à la police. La chronologie des scènes qui suivent est largement discutable et il faut s’accrocher pour remettre tout dans l’ordre. Pour la version la plus simple: l’actuel leader de la communauté mormone installée près de Colorado City, Rulon Jeffs (Martin Landau) décède rapidement après le début du film après avoir annoncé à son fils Warren (Tony Goldwyn) le nom de son successeur, le nouveau Prophète. Ce choix, Warren ne le comprend pas et s’autoproclame prophète à la place du prophète, sans que personne ne puisse soupçonner que son père avait en réalité désigné quelqu’un d’autre. Warren épouse les ex-épouses de son père et installe sa domination sur la communauté, allant même jusqu’à interdire les journaux et les médias sous toutes leurs formes un tout petit peu avant la fin du film.
Je m’attendais à ce que le film tourne autour du personnage dont il portait le nom, et la déception a été assez pénible sur ce point. Avec un homme ultra-croyant décide de s’emparer du statut vacant de prophète, mente et triche, et soit un leader effroyable pour toute une communauté, il y avait très certainement de quoi développer le personnage et s’intéresser à son cheminement de pensée autant qu’à la mise en place de sa fronde ou au développement de son espèce de délire de persécution. N’ayant pas lu le livre ayant servi de base à ce téléfilm, je ne sais pas si l’histoire était racontée de cette manière ou non. Pour ce qui est de la version télévisée de l’histoire de Warren Jeffs, pédophile avéré et polygame, les scénaristes ont opté pour un point de vue un peu flou, nous laissant spectateurs omniscients d’à peu près tout, mais nous laissant extérieurs à ce qui aurait vraiment pu être intéressant dans cette histoire.
Je ne dis pas que s’intéresser aux victimes de pédophilie ou de détournements de mineurs n’est pas intéressant. Mais clairement, il y avait matière avec l’histoire de Jeffs à essayer d’explorer le mental de cet ex-leader, décrit par beaucoup comme charismatique (mais un peu mou dans le film). Mais non. Rien du tout. On se limite à suivre les quelques mineures qui refusent de se soumettre, on assiste même à quelques scènes où Warren profite de toutes ses femmes en même temps en prétendant leur enseigner l’amour de Dieu… bref, c’est larmoyant et en plus c’est glauque. Mais à aucun moment on ne cherche à expliquer quoi que ce soit puisqu’au final, on nous laisse spectateurs d’un fait divers. Un peu comme dans ces trop nombreux téléfilms que diffusent TF1 ou M6 l’après midi sur le modèle « le combat d’une femme battue pour échapper à son mari ». Outlaw Prophet: Warren Jeffs ne va pas plus loin.
« Ils nous détestent, » dit-il. « Ils pensent que nous sommes des fous et des pervers. »
Julon Jeffs (Martin Landau)
Outlaw Prophet: Warren Jeffs peut se résumer avec cette citation: le film affiche tous les aspects grotesque de l’intégrisme religieux, insistant assez lourdement sur le fait que cette communauté soit composée de monstres et de pervers, et faisant un joyeux amalgame entre les mormons et les fondamentalistes – extrémistes – mormons. L’orientation du propos du film est pour le coup largement contestable du fait de cet amalgame un peu gratuit dévalorisant une communauté religieuse entière.
Il y aurait eu tellement de pistes à exploiter pour parler de Warren Jeffs, qu’il s’agisse du raisonnement qui l’amène à usurper le rôle de leader spirituel de sa communauté, ou de celui qui le conduit à la couper complètement du monde par peur que la vérité éclate et que le monde extérieur « contamine » tout le monde. Au lieu de ça, on a préféré se borner à effleurer superficiellement la personnalité de Jeffs pour plutôt se placer du point de vue des jeunes filles terrifiées. Le résultat est un beau gâchis, un téléfilm comme ceux – trop nombreux – que l’on diffuse pour combler des grilles de programmes en forme de gruyère et parce que pas chers à produire.