Tout plaquer et partir à Ystad...
C’est en 2008 que la BBC a posé les premiers jalons de sa propre adaptation télévisée de l’oeuvre de l’écrivain scandinave Henning Mankell, dont les romans avaient déjà été portés sur petit et grand écran en Suède avec Krister Henriksson (With every heartbeat, notamment) dans le rôle titre. Avec 2 fois 13 épisodes diffusés entre 2005 et 2006 (saison 1) et 20008 et 2009 (saison 2), puis une saison finale de 6 épisodes, la série originale a rencontré le succès dans son pays d’origine et s’est plutôt bien exportée.
La version britannique de Wallander comprend actuellement 3 saisons composées chacune de 3 épisodes de 90 minutes. En France, la série a achevé sa diffusion en octobre sur Arte, et l’on sait déjà qu’une saison 4 est en préparation – une excellente nouvelle ! J’avais déjà lu quelques-uns des romans originaux (the White Lioness et Firewall, pour vraiment n’en citer que deux) et j’avais alors vraiment apprécié le travail fait autour du personnage principal et de sa personnalité. Un travail de détail réalisé également dans la série, puisque l’inspecteur est vraiment tel qu’il a été créé et n’est pas non plus édulcoré pour le rendre plus sympathique ou plus impressionnant ou plus… plus.
La série est centrée sur le personnage de Kurt Wallander (Kenneth Brannagh), inspecteur de police au sein de l’antenne d’Ystad, en Suède. Rapidement, on comprend que la place occupée par son métier a des conséquences sur sa vie privée: on apprend au cours de la première saison qu’il est récemment séparé de son épouse et ne parvient pas à tourner la page pour reconstruire sa vie. Kenneth Brannagh (Harry Potter & the Chamber of Secrets, My week with Marylin, et très récemment au théâtre dans Macbeth…) nous livre un personnage principal tout en nuances, avec lequel nous partageons doutes, intuitions, hypothèses… et horreur. Parce que le quotidien d’Ystad n’est pas celui d’une petite ville tranquille, et Wallander est amené à enquêter sur bon nombre d’affaires sordides.
Wallander s’investit à 300% dans son travail; on peut même dire qu’il vit pour et par son travail. Parce que son métier occupe une place prépondérante dans sa vie, Wallander a des relations compliquées avec sa fille Linda (Jeany Spark) autant qu’avec son père Povel (David Warner) qui a toujours plus ou moins désapprouvé ses choix de carrière.
L’équipe qui l’entoure connaîtra quelques changements au cours de la série, lors du passage de la deuxième à la troisième saison. Chaque épisode nous amène à suivre une enquête unique trouvant une résolution à la fin, si bien qu’il est possible de regarder un épisode sans nécessairement avoir besoin de voir tous les précédents. Cependant si c’est le choix que vous faîtes, vous passerez à côté du fil rouge de la série constitué par le développement du personnage principal dans sa sphère privée. Le personnage de Wallander nous est magistralement servi par le britannique Kenneth Brannagh, qui nous livre là l’une de ses meilleures interprétations, comme confirmé par l’Emmy Award (2009) et le Golden Globe (2010) reçu par l’acteur britannique pour ce rôle.
A ses côtés, une distribution solide même si en retrait par rapport au protagoniste: Jeany Spark (Tess of the d’Urbervilles, the Fifth Estate, the Escape Artist…), qui interprète la fille de Wallander, David Warner (Tron, Titanic, Black Death…), qui interprète son père dans les deux premières saisons, ou encore Sarah Smart (Monroe, the Secret of Crickley Hall, Doctor Who…), Tom Hiddleston (Thor, the Hollow Crown, et au théâtre dès janvier 2014 dans Coriolanus), dans le rôle du coéquipier de Wallander… Tous servent les intrigues en interprétant leurs personnages avec une juste mesure; on est donc très loin des habituels personnages secondaires qui servent de faire-valoir et permettent à tous de comprendre à quel point le protagoniste est parfait et mieux que tout le monde. Justement, Wallander est loin d’être un policier parfait et c’est l’approche très introspective de la narration des épisodes qui nous permet de partager ses doutes, ses états d’âmes et ses réflexions. C’est assez déstabilisant au départ, mais ce parti-pris offre à la série une intensité qu’il est assez rare de trouver (à mon avis) lorsque tout est fait pour que le spectateur soit maintenu loin de ces éléments qui rendent le héros humain.
Wallander doute énormément, remet même en question le choix de son métier qui l’amène à voir tant d’horreurs, perd presque toute certitude quant à la nature humaine… tout est fait pour que l’on comprenne qu’il n’est ni une machine à résoudre les crimes, ni un surhomme. Et c’est ce qui marque le plus avec cette série, à savoir que le fait de voir ce détective vaciller sous nos yeux sans pour autant qu’il n’envisage une seconde de quitter ce métier difficile déclenche chez le spectateur quelque chose, qu’il s’agisse d’un profond malaise, d’incompréhension, de compassion… Wallander est fascinant car tout à fait nuancé, il est autant fait de qualités que de défauts, et – je l’ai déjà dit un peu plus haut – c’est ce qui pour moi rend ce personnage si vivant, c’est parce qu’il paraît si humain qu’on suit avec une profonde compassion ce grand bonhomme qui veut juste faire ce métier qu’il a toujours voulu faire, mais que les horreurs quotidiennes rendent une peu plus difficiles à supporter chaque jour…
Nordique jusque dans les moindres détails, Wallander est tournée en Suède, dans la région d’Ystad – qui est aussi le lieu où se déroule la série – et nous permet d’admirer des paysages magnifiques tout en nous offrant une immersion totale hors des pays où on a traditionnellement l’habitude de voyager grâce à la télévision. Panneaux en VO, coutûmes locales, noms difficiles à prononcer… tout est là et l’immersion – pour ma part – est totale. Autre détail agréable sur les lieux de tournage: lorsque l’action se déplace dans une ville voisine ou dans un autre pays (la Lettonie par exemple, au cours de la saison 3), l’équipe de tournage s’y déplace également pour nous offrir une vue réelle de ces régions composées d’une mosaïque de champs aux couleurs changeantes, d’éoliennes, de plaines ventées, de bords de mer aux couleurs bleutées… Quand on connaît le nombre de séries qui n’accordent pas autant de soin au choix des lieux de tournage et se contentent d’un banal champ, d’un lac ou d’une forêt quelconque, on ne peut qu’apprécier cela sur Wallander. Un choix assumé qui nous présente ce cadre tranquille et sublime comme un personnage à part entière, un peu comme pour accentuer le contraste entre les faits divers sordides qui surviennent dans la région et la beauté des lieux.
L’ambiance est soignée, et chaque scène est mise en valeur par une scénographie, un éclairage et un cadrage propre, ce qui gomme presque l’impression de regarder une série avec ses codes récurrents et redondants, et donne l’impression que chaque épisode est un téléfilm à part. En regardant un peu plus attentivement, on peut reconnaître certains éléments récurrents (le blurry de bord de cadre, notamment), mais le résultat final est tellement beau, tellement frais, qu’on a tout sauf envie de chercher des points communs ou des défauts à l’ensemble. L’esthétique et la photographie sont tout bonnement magnifiques et subliment les paysages naturels et urbains autant que les plans serrés sur les personnages. Wallander est très bien écrite, à l’instar des romans originaux. L’écriture est solide et l’on nous tient en haleine du début à la toute fin de chaque épisode; il n’y a ni faiblesses, ni zones d’ombres, et il n’y a pas non plus de facilités scénaristiques permettant de porter tout et n’importe quoi à l’écran dans le mépris le plus total de la cohérence. Les problématiques sociétales ne sont également pas laissées de côté, et la série nous offre une plongée perturbante dans les déviances de tous types, la haine du système financier, la xénophobie… tout est là, et très justement mis en scène.
Dernier point fort de Wallander: sa bande son, savant mélange de thèmes au piano qui collent au récit, couplée à un générique qui annonce d’emblée le ton en quelques secondes, « Melancolia » interprété par Emily Barker & the Red Clay Halo (le lien permet d’aller écouter une partie de leur album Despite the Snow… l’écouter, c’est l’adopter) qui nous plonge dans une mélancholie complètement raccord avec l’ambiance de la série. Une belle découverte musicale pour moi.
Il y avait longtemps qu’une série policière ne m’avait pas à ce point emballée ! Le hasard a voulu que la BBC soit à la production, que Kenneth Brannagh y campe un personnage principal absolument parfait, que la bande originale soit magnifique… J’ai eu un peu de mal à démarrer parce que Wallander a son rythme propre, assez lent par moments, avec de longs plans sur le paysage ou des détails filmés de très près… Mais passée cette difficulté liée à la forme, on entre très facilement dans la série. Les enquêtes sont bien ficelées et il est absolument impossible de prévoir leur résolution à l’avance, contrairement à bon nombre de séries du genre. Wallander, c’est ma série policière de 2013 (découverte à la bourre, certes).