Itinéraire d'un fils qui, jusqu'à l'âge adulte, doit vivre analphabète, sous la coupe d'un père violent, alors qu'il découvre progressivement une vocation pour l'étude.
Le film est violent, mais pas au sens où vous allez voir des démembrements, de la cruauté gratuite. Aucune cruauté n'est gratuite dans ce monde. La figure du père n'est pas aussi démesurée que ce à quoi on pourrait s'attendre : l'homme connaît bien son métier de paysan. Le film montre la plupart des personnages comme des victimes. Victimes de la pauvreté et de l'arriération, qui fait qu'on pourrait situer au XIXe siècle la vie de ces êtres, qui pourtant survivent comme ils peuvent vers la fin des années 1970. Dénonciation des prix trop bas, vision ambivalente de la Sardaigne, terre bucolique mais foyer d'arriération. Pays où les chants des hommes ressemblent aux cris de leurs moutons. Les deux frères avouent comme influence principale Rossellini, et c'est assez évident.
Je retrouve une forme de symbolisme naïf que j'avais ressenti dans Good bye Babylonia, notamment dans l'usage de la voix off : le monologue intérieur des élèves qui ont peur qu'on interrompe leur scolarité au début ; le dialogue rêvé du jeune berger avec la brebis récalcitrante. La statue du saint porté qui devient la statue écrasante du père.
Outre ces légères audaces formelles, quelques surprises, dont la plus marquante est la séquence superposant en fonds sonore les gémissements d'enfants en train de se masturber, et des saynettes suggestives sur leur découverte (contrariée) de la sexualité. Presque Nouvelle Vague, mais évocation cash de l'impossibilité de ces pauvres garçons, pâtres malgré eux, d'avoir une sexualité normale.
Il y a un beau travelling avant sur la route, au crépuscule, au rythme du pas d'un cheval, avec la voix off du père, qui lui dit tout ce qu'il lui apprendra de la rude vie des bergers et de nuit, lui apprend à écouter et identifier les bruits.
Et aussi de nombreux plans fixes ou travelling latéraux sur des paysages qui semblent immobiles, mais sont changeants. Le rythme, très lent, je ne le qualifierais pas de contemplatif, mais les paysages sont fort beaux. Et dépouillés, comme toute la production.
La parole est rare. En peu de répliques, la situation est bouleversée. La direction d'acteurs est sobre, bonne à quelques exceptions près, je dirais. Une apparition de Moretti.
C'est très cru, aussi, hein. Il y a du concours de pets, une brebis qui chie dans le seau de lait et un héros à l'arrière d'un camion, demandant qu'on le retienne pour qu'il puisse pisser.
Padre Padrone est à la fois un film-choc et une évocation bucolico-apocalyptique de la campagne sarde. Les teintes qui dominent sont automnales, dorées. C'est un très beau film, qui ne plaira pas aux fans d'action, mais qui comporte son lot de scènes marquantes.
Synopsis
La Sardaigne, une école de village. Un berger sévère, terrifiant, vient chercher son fils Gavino : il a besoin de lui pour s'en sortir. Encore en primaire, il doit surveiller seul la bergerie, au milieu d'une campagne hostile (loups, bandits) en l'absence de son père. Terrorisé, il essaie de retrouver son père, qui le bât. Il a peur d'un serpent : son père le tue et le frappe avec. Parfois son père le bât jusqu'à ce qu'il perde connaissance.
La violence rejaillit sur le gamin, qui maltraite une brebis qui a chié dans le seau de lait. Il voit des animaux copuler et a sa première saillie adolescente sur un âne. Devenu adulte, il voit passer un couple de baladins en route pour la fête de Muros, mais ne peut les suivre, à cause du troupeau. Il tue deux moutons en échange d'un accordéon qui s'avère cassé. Il ment à son père, se blesse la bouche pour faire croire à un vol de bandits.
Le père tue (accidentellement ?) son frère en assommant un mouton, pour que Galvino hérite d'une oliveraie. Au village, la laine est à un prix très bas, à cause de la concurrence européenne. L'oliveraie subit le gel, qui détruit toute espérance.
A l'occasion d'une procession, il se met d'accord avec d'autres "Thiu" (cadets ?) pour partir à la ville, à l'arrière d'un camion. Mais il ne peut partir sans la signature de son père,qui refuse. Le père vend la propriété et tout le monde doit contribuer pour la vie de la famille. Gavino, complétement analphabète, doit passer son certificat pour s'engager dans l'armée. Son père lui transmet son faible savoir.
A l'armée, il est malheureux et se fait punir car il ne connaît que le sarde. Il apprend l'italien, se découvre une haine pour l'armée et un goût pour les études de langue. Le père refuse de l'aider, veut le voir travailler. Il doit garder les chèvres et rate son examen. Il se révolte contre son père. Ce dernier essaie de le tuer. Il part sur le continent faire des études de linguistique sarde. On revient au présent : le narrateur est celui qui a écrit cette autobiographie.